« Comme l’époux tardait, toutes s’assoupirent et s’endormirent. » (Matthieu 25, 5)

Comme dans la parabole biblique des vierges sages et des vierges folles, rester vigilants et prêts à accueillir l’époux nous semble être le meilleur plan du moment. Et même si le théâtre comme lieu où les histoires se racontent anime toujours nos débats, nous ne pouvons que constater que tous, nous sommes traversés par les récits.Et puis, soudain, une histoire insensée obsède. Obsédante parce que très belle et gorgée de sens, de liens et de coïncidences. Elle apparaît sans crier gare et envahit avec douceur toutes les arcades alvéolées du cerveau. Elle ressemble à un conte ancien, un dérivé populaire de mythologie qui aurait franchi le temps et les mers pour parvenir jusqu’à nos peaux. Une odyssée où Pénélope se pare de l’étoffe de l’héroïne que le chagrin rend belle et digne jusqu’aux dernières lueurs. Car il s’agit avant tout d’une affaire d’épiderme. Ils s’aimaient comme on s’aime quand on est adolescent, mais il faut injecter du tragique dans les nervures pour qu’une histoire puisse prendre l’ampleur d’une légende. Imbiber les veines. Ainsi, lui disparaît mystérieusement dans une contrée lointaine. Elle, depuis près de mille ans, l’attend.

Toucher du doigt ce qu’aimer peut vouloir dire. Pas théoriquement, pas idéalement, pas quotidiennement, non, ici nous approchons du mystère limpide de l’agapé. Il ne reste en elle que le souvenir d’avoir un cœur et de l’avoir perdu, et nous, témoin privilégié, sommes là pour nous laisser conquérir par cette absence. La terre en jachère prend la couleur de ses souvenirs. « Ton amour perdu ne le formole pas, porte-le en majesté », disent les amis les soirs de tristesse. Depuis que Pénélope est entrée dans nos nuits, ce sont les traces et les fantômes qui occupent nos journées, et nos pores appellent aussi celui qui n’est plus là. La peau se marque d’empreintes invisibles ou délavées mais indélébiles, sédiments incrustés que la mémoire rappelle à la surface. Sa peau l’attend toujours, la nôtre aussi, par capillarité.