DR

Avec un titre pareil, on aurait pu s’attendre à une comédie pour ados sur la difficulté d’être un « jeune » dans ce monde de brutes qui ne donne vraiment pas envie de grandir. C’est donc une double difficulté qu’a surmonté hier soir la dernière création de La Manufacture : ouvrir la nouvelle saison théâtrale montréalaise et séduire un public à la fois sceptique et exigeant. Le spectateur de théâtre est un enfant gâté, on ne le sait que trop bien.

Pour l’occasion, la grande salle de La Licorne se métamorphose en studio télé des années 70 à grand renfort de moquette et de boules à facettes, les chevelus du groupe électro-rétro Le Futur ajoutant une sacrée touche d’authenticité au décor. Comme prévu, Marilou est une jeune femme en quête de sens, “fucking découragée”, qui cherche sa place tout en tentant mollement de terminer ses études. Mais ce personnage sans grande envergure dramaturgique n’est qu’un prétexte à la grande débandade, l’épicentre d’une comédie pétillante et sacrément bien ficelée. Dans ce boulevard d’un nouveau genre (pour ne pas dire de gauche), Papa claque la porte de la politique libérale pour ouvrir “une boutique de vélos haut de gamme”, Maman fantasme sur la vie qu’elle aurait pu avoir et le tout explose en un gros burn out orchestré par le fantôme de Timothy Leary, figure emblématique du mouvement hippie. Bruno Marcil incarne ce bon génie désopilant, présentateur télé d’un voyage initiatique familial aux allures de trip sous acide, avec un talent fou. Aussi bon en prof d’université pathétique qu’en artiste français imbuvable, il est incontestablement le moteur et l’atout charme de cette création fraîche et surprenante. Malgré des effets parfois un peu cabotins et des personnages à la limité du cliché, la direction d’acteurs de Philippe Lambert se révèle très fine et le texte de Pierre-Michel Tremblay, auteur en résidence à La Licorne, est redoutablement efficace. Ses punchlines ravageuses décrochent même un éclat de rire nerveux aux plus snobs d’entre nous et les comédiens, loin de s’enorgueillir de l’effet obtenu, redoublent de générosité. On aurait aimé qu’une orgie céleste remplace les dernières notes quelque peu guimauve de ce beau moment de folie mais la mission affichée de La Manufacture est encore une fois accomplie : rendre le théâtre accessible à tous sans prendre les gens pour des cons. Merci !