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Dans un immeuble qui tourne à la Simon Stone, Arnaud Meunier et Fabrice Melquiot maçonnent un « mélodrame épique » de notre siècle pour un vivier de marginaux qui, par la magie de la représentation, retrouvent la visibilité et la force tragique qu’on leur a confisquées. C’est sur une poignante confrontation entre père et fils que s’ouvre la pièce, orientée autour d’un actant dramaturgique dont la symbolique vertigineuse ne cessera de hanter le spectateur : un civet de lapin.  Si Philippe Torreton condamne son « mioche-moule » à cuisiner la bête, le rejeton refuse sans pudeur et transforme alors la matière viandesque en métaphore vibrante d’une humanité brisée, faillible et trouée, à l’image de ce « poulet » malingre dont on apprendra plus tard qu’il ne contient rien d’autre que des « olives » (elles-mêmes certainement dénoyautées, mais le texte de Melquiot reste elliptique sur ce point). Ce savoureux tissage allégorique est alimenté de surcroît par l’image saisissante et inédite d’un tremblement de terre qui vient fissurer visuellement les murs de la cuisine (pas loin du poster de « Gran Torino » accroché aux murs, autre indice visuel dont on apprécie rapidement la finesse). Pour Monsieur Grinch qui fait son grand retour dans l’immeuble (épigone du méchant croque-mitaine vert), ce foyer constitue un authentique « épicentre » dont l’homme moderne ne peut s’extraire, car il y est enchaîné organiquement (le « trou de balle » étant lui-même un autre « épicentre » comme le rappelle le personnage, « l’épicentre de mon cul » précise judicieusement Melquiot). Bref, l’émergence d’un grand théâtre épique et populaire contemporain n’est peut-être pas pour tout de suite.