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Cette reprise de « L’autre monde » de Cyrano de Bergerac au Théâtre Verdière de La Rochelle marque la quinzième saison d’exploitation du spectacle de Benjamin Lazar, qui n’a perdu ni sa virtuosité inégalable de contage incarné, ni sa capacité à produire ce décentrement optique qui rend magnifiquement justice à la fantaisie très sérieuse de son voyageur aux fioles de rosée. A l’image de cet astre lunaire « aux mille définitions », qui serait pour certains spéculateurs un « trou » permettant d’observer « ce qu’on faisait au monde » quand le soleil se retire, la boîte noire de cire baroque que reconstitue encore une fois Lazar n’est pas qu’une belle attraction archaïque, mais une antichambre vibrante où l’imagerie mentale retrouve toute sa force défigurante. Une obscurité salvatrice, qui « autorise » tout et « permet la pensée » comme dirait Howard Barker, faisant entendre autant la parole imperceptible d’un chou frisé qui prend une résonance écologique insoupçonnée, que celle d’hommes à quatre pattes plus ou moins bienveillants, tissant les chapitres sporadiques de Cyrano dans un grand poème politique complètement intemporel. Par sa capacité à muscler subtilement la parole et à rendre accessible les replis farfelus du texte, Lazar parvient avec ses deux musiciens à annuler tout principe de durée. Dans ce dispositif bien plus minimaliste que celui de sa dernière création (« L’Heptameron »), qui mêlait une utilisation quasi artisanale de la lumière électrique avec quelques coquetteries scénographiques, il nous livre un bel aperçu du chemin parcouru, retrouvant le sommet d’un art si exigent et habité qu’il nous hypnotise en toute simplicité.