C’est par un grand débarras que débute l’expérience actorielle de Chela de Ferrari sur « La Mouette » de Tchekhov. Souvenir d’un vieux théâtre matérialiste n’inquiétant jamais le regard, le mobilier bourgeois qui étrique au départ la scène est d’entrée remisé par la régisseuse. Et ce pour une raison ironiquement pratique – des acteur·rice·s aveugles ne pourraient se mouvoir dans pareil étouffoir naturaliste – mais surtout pour des enjeux esthétiques – il s’agit pour l’artiste de gagner un Tchekhov de l’invisible, peintre des âmes et du cosmos, plus que le petit positiviste qu’on a souvent monté. Décaper la scène de cet oripeau matériel ne conduit malheureusement pas à une théâtralité plus neuve : kitsch vidéographique, éclairages souvent illustratifs, dancings sans enjeux dramaturgiques… autant d’artifices qui compriment à leur tour l’espace noir qu’ils voulaient creuser. Et s’il faut saluer la direction formidable des acteur.rice.s qui paraissent totalement libres de leurs mouvements, et toujours en puissance sur le plateau, la place dramaturgique de la cécité ne cesse quant à elle de questionner. Parfois thématisée à gros traits dans les rajouts textuels, mais souvent délaissée parce que la pièce elle-même contient peu d’allusions à l’oculaire, la condition des acteur.rice.s devient autant un vrai faux sujet qu’une coordonnée banalisée de l’expérience théâtrale. Aussi cette « Gaviota » peine-t-elle à s’éprouver comme une opération sur le répertoire tchekhovien qui réveillerait la signification et la sensorialité de la pièce. Hormis dans le dernier acte en cercle qui fait tendre nos propres yeux vers un gouffre noir, l’invisible perce bien peu la représentation, et c’est à une « Mouette » plus raccourcie qu’obscurcie que nous avons le sentiment d’assister.
La mouette aveugle
La Gaviota