© Larissa Guerassimtchouk

Réclamé par les comédiens de l’Atelier Piotr Fomenko, Christophe Rauck n’a pu qu’accepter avec honneur le challenge qui s’offrait à lui : monter un texte d’auteur français à la sauce moscovite et le céder au répertoire de cette institution phare du théâtre russe.

Molière s’est imposé comme un choix évident, parce qu’incontournable en France et pourtant étonnament peu joué dans la patrie des Fomenki. Christophe Rauck a jeté son dévolu sur Amphitryon pour éviter les grands classiques, reprenant par la même occasion la première pièce de Molière jouée devant l’ambassadeur du tsar Alexis 1er et sa suite en 1668. Donner à jouer à des comédiens russes une farce cruelle inspirée de la mythologie grecque et de la comedia dell’arte fut un choc des cultures inattendu. Le caractère provocateur et l’efficacité tranchante de l’écriture s’est confrontée à la tradition romantique du théâtre russe et le metteur en scène s’est trouvé face à un défi inédit. Défi amplifié par la langue dans laquelle le texte sera travaillé et joué : les prouesses et subtilités de language qui font le génie de l’auteur ne peuvent plus être un appui pour la direction d’acteurs. Le produit final n’est malheureusement pas à la hauteur de la rencontre explosive que l’on pourrait espérer.

Les dieux descendent du ciel dans un crépuscule luisant et embrumé, faisant naître un espace sombre et mystérieux, nuit éternelle entre cauchemar et réalité. Christophe Rauck fait ressortir le plus noir de la comédie de Molière dans cette scénographie lugubre doublée d’un accompagnement constant de notes graves. Le cocufiage goguenard fait place à une complainte blessée et trahie couronnée de danger. Les Fomenki sont lancés dans une composition quasi shakespearienne, incarnant les protagonistes de ce Tournez-Manège olympien avec une emphase tragédienne très “premier degré”. La colère des dieux se mêle à la colère des hommes et la scène se fond en un seul cri insurmontable. Ce choix de la noirceur et de l’amour trompé comme angle de vue est sans doute tout à fait volontaire de la part d’un metteur en scène en perpétuelle recherche de nouveaux codes. Mais si l’on peut admettre ici une certaine modernité, quoi que mise à mal par le classicisme du jeu, on ne peut qu’être frappé par l’image de la femme portée par les deux seules comédiennes sur scène. Sublimes et drapées de parures sensuelles, elles déambulent, rampent et se tordent en positions lascives et suggestives, objets du désir des hommes, sur scène et dans la salle. Hystériques, affectées et capricieuses, elles crèvent le plafond des décibels pour finir ventre à terre au pied de leurs époux. La misogynie intrinsèque du XVIIe siècle ne bouge pas d’un iota, figée dans l’imagerie du théâtre français fait par ces hommes qui adorent leurs actrices pour leur grâce si douce et leur charme si féminin. Quoi de neuf ici bas ?