Chant de consolation

Au milieu de l'hiver j'ai découvert en moi un invincible été

(c) Simon Gosselin

C’est une pièce à l’allure de promesse que nous livre sur le plateau de la Colline la jeune auteure et metteure en scène Anaïs Allais, promesse à la fois personnelle et collective.

Personnelle, car celle-ci s’inspire de sa propre vie et de celle de sa famille pour donner naissance à une fable dont nous ne pouvons que souligner la poésie du titre emprunté à Albert Camus, « Au milieu de l’hiver j’ai découvert en moi un invincible été », publiée chez Actes Sud-Papiers. Une vie, comme celle de tant d’autres, qui voit s’entrecroiser les deux rives de la Méditerranée avec tout ce que cela suppose d’exils et de douleurs.

L’auteure, à travers les personnages de deux frère et sœur, Lilas – jouée par Anaïs Allais – et Harwan, offre une voix à ces fameuses « deuxième et troisième générations », ces enfants d’exilés algériens en butte à une identité qui peine à se définir, hantés par l’idée d’un « ailleurs » familier et pourtant inconnu. Si Lilas décide d’entreprendre un voyage vers ses origines, en quête de la terre que sa mère a quittée et surtout en quête d’elle-même, Harwan incarne le refus de regarder un passé qu’il juge ne pas lui appartenir. A l’heure de débats infinis sur l’apprentissage de l’arabe à l’école, Anaïs Allais évoque la difficile question de l’identité et de l’intégration par ce qu’elle a de plus essentiel et peut-être de plus primordial : la langue. Quitter un pays, c’est d’abord quitter une langue, et d’une certaine manière, quitter son chant.

« Chehilet Laayani », chanson traditionnelle du chaâbi algérois – qu’on retrouve notamment dans le beau documentaire « El Gusto » de Safinez Bousbia –, s’affirme ainsi comme un personnage à part entière du spectacle, à la manière d’un leitmotiv permettant à Lilas et Harwan de se réapproprier, chacun à leur façon, un langage qu’ils connaissent mal. Avec eux, le spectateur – que son oreille soit familière ou non du chaâbi – apprend à écouter la musicalité du dialecte algérois, son rythme, ses émotions et plonge, par les personnages, dans l’intime de ce que peut être l’apprentissage d’une langue à la fois occultée et promesse de réconciliation. A travers une chanson qui parle d’amour et de séparation, les fils de la mémoire se renouent et cherchent l’espoir d’une consolation. Il s’agira en dernier lieu de chanter pour la mère, signe de cette langue maternelle perdue et retrouvée. Promesse collective à laquelle nous invite Anaïs Allais au cœur de l’hiver, donc ; comme un petit pas pour que « l’étrange étranger » dont parle la chanson, en sortant du théâtre, fasse un peu plus partie de tous et de nous-mêmes et que nous gardions en nous quelque chose de son chant.