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Comme il est dur d’être un robot ! Surtout quand on est une jeune androïde titillée par l’horloge (biologique ?) et qu’on n’est pas dotée d’un appareil reproducteur naturel. Encore un spectacle qui fleure bon l’air du temps en parlant du futur imminent et d’une technophilie qui n’a, semble-t-il, pas prévu ses effets collatéraux (a-t-on pensé aux psys pour cyborgs?) Privée de larmes, d’émotions autres que préprogrammées, dotée d’une peau en silicone qui ne sent rien, incapable de créer de l’inédit, la robote tourmentée personnifie la gueule de bois technologique : à quoi bon s’augmenter si on est aussi malheureux (voire plus) qu’en étant humain, simple humain ? Les questionnements du spectacle sont louables (peur de l’interchangeabilité, responsabilité d’enfanter dans ce monde, dépossession de nos émotions).

Mais l’interminable logorrhée de 2 heures 20 qui nous les inflige invite à réfléchir – plutôt qu’à l’appauvrissement de notre expérience par la technique – à l’invention transhumaniste d’une puce crânienne qui permettrait, au théâtre, un mode off du spectateur. On en aurait, ici, fait usage pour trouver le silence, que la mise en scène semble avoir tout simplement oublié : les péroraisons en forme de vérités générales (« l’aléatoire est le libre-arbitre des robots » – des hommes aussi non ?), le flot continu de paroles, les ressassements monologués, empêchent aux images de s’installer, étouffe la rêverie et l’abandon à un certain vortex interprétatif dans lequel, parfois, si grâce il y a, l’art nous plonge. Pauvre robote, à qui la mise en scène a confié un soliloque inaugural poussif, à qui le texte fait répéter jusqu’à l’écœurement, le mot « algorithme » – comme une garantie de contemporanéité. Son ton criard, ses pénibles accentuations vocales assèchent toute empathie pour celle-ci. Les anecdotes des autres personnages, des histoires de nounou-machines et de forêts rêvées, sonnent comme d’artificiels prétextes à la démonstration (la technique appauvrit l’expérience), que le glaçage narratif ne suffit pas à masquer.

A vouloir faire tenir ensemble trois pistes qu’il ne creuse pas véritablement – comédie loufoque, fable poétique et revendication politique – le spectacle se dévore lui-même, lâchant sans cesse une voie pour en suivre une autre. Les gesticulations sont gadgétisées (des travelos sur des overboards), les masques dépersonnalisants ou animalisants cochent la case de l’effet lynchien, les tableaux ne sont insolites qu’en apparence (le sang du greffon explosé – collé aux cuisses de l’héroïne) : on ne sent aucun parti-pris véritable. Même le manifeste final (lourd) pour la dés-algorithmisation de nos vies (« ta pensée peut encore s’ensauvager»), est mou. Heureusement que la création sonore, inquiétant vrombissement, permet l’installation d’une atmosphère. Car c’est peut-être ce qui manque cruellement à ce spectacle : du temps sans parole, des moments sans mouvements, du vide. Précisément ce qu’un rapport technique au monde ne permet plus.