DR

« Il faut partir de la solidité sur un plateau, et advient éventuellement la béatitude. » Prononcée lors d’une récente table ronde, cette formule de Christian Schiaretti promettait une judicieuse entorse aux préjugés sur le théâtre et la langue de Claudel que sa mise en scène de « L’Echange » a parfaitement démontrée. Jamais la vérité organique des versets claudéliens n’a été aussi manifeste, que ce soit dans la fougue athlétique déployée par Marc Zinga (magistral interprète de Louis Laine) que dans l’enracinement discipliné de Louise Chevillotte (son épouse Marthe.) Loin des scénographies balnéaires trop bien léchées qui l’accueillent souvent, l’« Echange » prend racine ici dans une île sablonneuse formée à vue au début du spectacle, au milieu des écumes abstraites ouvrant le plateau sur l’infini, comme si la métaphysique claudélienne ne pouvait se passer d’une assise matérielle et rudimentaire. Schiaretti parvient alors à nerver la composition « classique » de ce drame tripartite et à exploiter toute la tension tragique ménagée par un Claudel new-yorkais fasciné par Eschyle. 

Cette mise en scène minimaliste, où l’arrivée finale d’un cheval apocalyptique en carton-pâte constitue le seul artifice décoratif, repose essentiellement sur la révélation de quatre vrais acteurs claudéliens, espèce rare selon le metteur en scène. Si la direction précise de Schiaretti donne une accessibilité inégalée au texte de Claudel, on peut toutefois interroger, sans nuancer les grandes qualités du spectacle, les limites d’une telle incarnation. Figeant parfois les figures allégoriques (en particulier pour le personnage de Robin Renucci) et les identités vocales en leur donnant tant de chair, la représentation qu’il propose émousse les frictions possibles entre ces êtres en réalité stratifiés (leur vérité ayant autant d’enveloppes que les oignons, comme le rappelle Lechy Elbernon). Au-delà de l’accord esthétique du quatuor, éparpillé significativement par des corps de plus en plus distants, c’est la vision claudélienne de l’exilé moderne que perd un peu Schiaretti. Si l’homme en fuite de l’échange défie la dévotion du partageur, ce drame des appétits libéraux transcende lui-même la vieille causalité tragique qu’il semblait convoiter. Décidément, on ne peut rebâtir Claudel que sur le sable.