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La salle de l’Arsenic paraît soudain majestueuse ; les chaises collées le long des quatre murs laissent l’espace vide se pâmer, animé d’une curieuse aura que provoque malgré lui celui qui n’est pas encore là. Il paraît clair que ce qui va se jouer ici, au coeur de la nuit, a la goût délicat d’une rencontre. Ce sont les mots de Racine d’abord et de Baudelaire ensuite qui sont livrés et leur voyage depuis l’outre-tombe de la sensibilité d’Yves-Noël Genod les a patinés et chargés d’une résonance atemporelle. Lui, magnifiquement monstrueux dans sa robe de gala dorée, laisse les vers briller, devenant le réceptacle de la poésie, acceptant d’être traversé par la tragédie et par la puissance chamanique des feux amoureux. Il incarne une Phèdre fragile, envoûtée, soumise aux volontés divines plus que mortelles, à la merci de ses pulsions sauvages et inconstantes comme ces lumières (Philippe Gladieux) qui transforment le plateau en purgatoire, passage vers les limbes avant de connaître son sort. Âme en peine, elle erre, cherchant un réconfort peut-être, des bras dans lesquels s’abandonner, une fin qui tarde à venir. L’apaisement sera sans doute à chercher dans les mots de Baudelaire qui claquent, vigoureux et entêtants. Sommes-nous déjà dans l’après ? Dans un noir profond digne des plus beaux Soulage, le poète semble répondre à l’héroïne tragique, désamorçant la culpabilité qui la rongeait, clamant avec verve l’infini humanité que l’amour engendre. Puis apparaissent des ombres, fantômes phosphorescents et silencieux qui semblent surgir du fond des âges pour rappeler à nos yeux qu’ils existent encore. Nous avions cru un instant être seuls au monde, nous nous sommes pris pour Phèdre post poison, nous étions nous aussi dans les limbes, bercés par Arvo Pärt et Arthur Rubinstein. Ce sont alors ces êtres eschatologiques qui paradoxalement nous connectent à nouveau avec le monde. Une remontée des enfers pendant laquelle il est difficile de savoir si l’on craint ou l’on désire la révolution d’Orphée. Le voyage pourrait ne jamais finir. Automne, hiver qu’importe, pourvu que les mots des poètes et la voix de l’artiste nous laissent la foi dans la possibilité d’une île.