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La dernière fois que l’on avait malmené Molière dans une salle de gym, c’était lorsque Jean-Marie Bigard avait voulu faire son Monsieur Jourdain en baskets rouges. Pas sûr que cette référence, aussi érudite soit-elle, soit très flatteuse pour le directeur de l’Odéon. N’est pourtant pas Ludovic Lagarde qui veut (lui qui transposait génialement « L’Avare » dans un entrepôt vampirique), et à trop vouloir passer Molière au “pressoir” contemporain (habitus des “maîtres d’école” moqués par Brecht) on finit par le faire pédaler dans une semoule purement analytique. Après avoir régénéré habilement le couple Macbeth l’an passé, Stéphane Braunschweig délaisse à nouveau ses dadas modernistes et assène une vraie leçon de théâtre classique, mais pas forcément au bon sens du terme. L’injonction de mettre Molière dans le mouvement et sous tous les hashtags, qui nous avait déjà laissé perplexes cet été avec le « Tartuffe » politicard de Korsunovas, est ici d’autant plus fâcheuse qu’elle lui ôte toute son énergie dramatique et que la représentation féministe qu’elle est censée produire a tout d’un exercice scolaire un peu douteux.

Il y a d’abord un vrai défaut rythmique dans ce spectacle, inauguré par l’énergie boiteuse de la première scène qui, au lieu de faire passer la pilule des bavardages expositifs, dilue le texte dans une techno ringarde en sourdine et une chorégraphie sportive trop bien léchée, comme si rien n’était assumé scéniquement mais servait de pure illustration métaphorique. En bons élèves, nous avons bien compris qu’Arnolphe était un vieux beau éternel vivant dans la hantise des femmes, et en particulier d’Agnès dont Braunschweig veut réhabiliter, après Catherine Anne qui lui avait dédié un texte, la puissance subversive. La malice sauvage de la remarquable Suzanne Aubert lui permet d’esquisser cette émancipation, qui s’effondre malheureusement dans la lourdeur symbolique des indices égrenés aux entractes par la vidéo (la jeune fille aurait-elle tué le petit chat ?) La grammaire que déploie Braunschweig en rose fluo n’a alors rien d’une écriture féminine, car elle ne laisse place ni à l’imaginaire, ni aux contradictions, ni au tremblement solitaire d’un corps saisi dans son intimité, dans ce « transport difficile à bien représenter » évoqué par le bel Horace, dont il aurait fallu préserver l’énigme vivante.