Mesdemoiselles Julie

Julie's Party

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Dans un vieux bâtiment fatigué du boulevard des Philosophes, au centre-ville de Genève, on entend toujours le souffle de Benno Besson, l’homme qui convertit l’Europe à Brecht il y a plus de trente ans. Le couple Maillefer/Koutchoumov prolonge la tradition de la Comédie dans son ouverture de saison, grâce à une soirée « Mademoiselle Julie » joueuse et subversive.

Passons sur la mise en scène lourdaude du texte même de Strindberg par le Belge Luk Perceval, où une inutile racialisation des rapports entre Julie et son valet, un jeu hystérique et des éclairages incompréhensibles brouillent l’intelligibilité du propos. Mais au bout d’une heure, la lumière vient. Le spectateur libéré de ce pensum peut à son goût investir cinq ou six lieux cachés du même théâtre, de la cuisine aux loges, du studio à la salle des costumes, pour assister à plusieurs « autres » « Mademoiselle Julie », versions short cut.

Amir Reza Koohestani fait partie des metteurs en scène invités et programmatiques auxquels le format sied parfaitement. Sa rencontre entre Julie et Jean enregistrant le livret de la pièce pour une radio est drôle et crue, moderne, sexuelle, gracieusement portée par deux comédiens amoureux, Viviane Pavillon et Maxime Gorbatchevsky.

Le soleil revenu, c’est Pascal Rambert qui interroge Julie, ou plutôt l’absente de cette consomption amoureuse entre Julie et Jean, la cuisinière Kristin. Kristin monologue et morigène tout à tour, parle du second rôle qu’elle est, parle du théâtre, parle tout court, sa voix devient une pièce à elle seule, celle où nous sommes, celle du spectacle que nous ne voyons pas. Ce merveilleux hors-champ scénique rattache les névroses de Strindberg à la férocité révolutionnaire d’Octave Mirbeau, exact contemporain de Strindberg. Et bien sûr à Brecht.

Le plus émouvant pour la fin. Eh bien une fin justement à « Mademoiselle Julie », bien des années plus tard, imaginée par Tiago Rodrigues. Les amants déchirés sont fatigués, ils ont envie de s’aimer, ils ont envie de se répéter qu’ils sont heureux, ils le sont sans doute. Déclassés mais libérés, devenus capables de transposer leurs luttes dans un quotidien trivial, ils vivent une extase troublante de simplicité. Alors quoi de meilleur que de partager avec eux un verre de vin et une tranche de jambon. Merci « Julie’s Party », ce fut une belle fête.