Il est parfois difficile d’isoler l’oeuvre de son cadre. Pourtant bien des débats théoriques nous animent et nous confortent dans l’idée de tenter de ne parler que du travail, de l’objet présenté, de l’impact de la création artistique chez celui qui la reçoit. Ici, ce voeux pieux est d’emblée impossible. Le Théâtre du Peuple de Bussang dépasse allègrement les murs qui le composent et plus qu’un lieu de création, c’est une île des possibles, un écrin où les rêves se vivent les yeux ouverts assis sur du bois. Simon Delétang saisit avec une justesse lumineuse l’onirisme ontologique des lieux et c’est avec le texte de Wajdi Mouawad « Littoral » qu’il fait ses premiers pas vosgiens. Habitué depuis longtemps au théâtre classique, c’est une transition franche qu’offre le jeune metteur en scène au public fidèle et visiblement conquis par cette plongée contemporaine. Dix-huit acteurs sur le plateau (dont 2/3 d’amateurs, règle immuable des lieux) pour transmettre les peurs et les espoirs de Wilfried soudain chargé, tel Atlas, du poids de son histoire. Ensemble, ils s’engagent vers le pays des origines, la terre mère qui dévoilera autant d’atrocités que de lait et de miel. Le texte porte dans la chair de ses phrases toutes les images nécessaires ; les dire c’est déjà créer un monde visuel qui apparait clairement aux spectateurs. La mise en scène a l’intelligence de ne pas surligner, de rester à l’écoute et au service de ceux qui prennent la parole. Et puis comment lutter avec la force tellurique de cette déchirure magique, cette mer qui s’ouvre laissant advenir la nature et la lumière qui la caresse ? Un fond de scène que la montagne envahit à loisir offrant, généreuse et sans cesse renouvelée, un cadeau unique dont on ne peut se lasser. Repus par cette expérience synesthésique, mais loin d’être repentis, on se demande sur quel nouveau sentier Simon Delétang va nous entraîner l’été prochain, tous, déjà bien décidés à le suivre.