C’est à chaque fois secrètement excitant de pénétrer l’intimité de la création — lorsque le lecteur béat découvre quel laborantin oeuvre derrière l’homme de scène… Et s’enthousiasme de retrouver chez Lupa un artiste – allez, usons d’un peu de ringardise – follement « complet » : scénographe, costumier, éclairagiste. La génétique lupienne méritait amplement un ouvrage : Agnieska Zgieb parie d’illuminer son ineffable profondeur. Car il s’agit de rêves sinueux où le crayon est guide : les croquis de Lupa ont un art bien à eux, qu’on voudrait presque autonome des spectacles. Des rêves à l’état pur, à y voir l’engouement quand on se familiarise avec la ville imaginaire de Yelo que l’enfant polonais élabora dans une fuite salvatrice face à aux autorités aussi familiales que nationales. Je ne résiste pas à l’envie de rappeler un passage : le père de Lupa entre dans sa chambre et confisque une lettre qu’il est alors en train de rédiger ; l’enfant est terrifié ; et quelle n’est pas alors sa surprise quand il réalise que son père, pourtant polyglotte, est incapable de déchiffrer ce qui est couché sur le papier. Et pour cause ! Lupa avait oublié qu’il écrivait dans la langue qu’il s’était inventée… Difficile de ne pas écouter l’anecdote croustiller. N’est-elle pas parmi les prémices d’autres écritures intérieures, qui jalonneront ses spectacles — un flux de conscience qui fait la part belle à l’imaginaire jungien dont l’ouvrage rappelle très bien l’importance dans le parcours du metteur en scène ? Les voix, les cartes, les soliloques préfigurent l’intention qui plus tard, conditionneront la direction d’acteurs : autant de symptômes du personnage dans l’énergie du trait et dans l’infusion de la couleur…

Sans aucun doute, l’ouvrage montre le génie de Lupa à mesure qu’il tente de l’expliquer. Chaque contributeur l’appuie richement (à l’exception peut-être de Christophe Triau, signant une très belle intervention de recherche) ; un peu trop ? Quand on aime, on ne compte pas : c’est peut-être le jeu. L’ouvrage mêle croquis, interviews, lettres, notes de travail… Tout s’y côtoie pêle-mêle : n’est-ce pas bien ainsi ? On l’a dit, l’artiste, de Yelo au récent « Procès », est amateur de labyrinthes ; le livre lui rend hommage, la construction ravira l’adepte du metteur en scène autant qu’elle séduira le fan de génétique… Bref, voilà un ouvrage en forme de rhapsodie qui ferait un idéal de bible : car processus et résultat s’entre-éclairent ici à merveille.