Au-delà de la portée historique et de son évidente contemporanéité, un des intérêts du roman d’Odon Von Horvath écrit en 1937 est qu’il pousse son lecteur à s’interroger sur ce que peut bien vouloir dire « être de son temps ». Car pour en être, faut-il encore le comprendre, avoir conscience des enjeux au travail, sentir l’air d’aujourd’hui et les parfums de demain ; à moins que seuls ceux qui s’y penchent a posteriori puissent déterminer ce que l’époque demandait à ses enfants.

Car si notre anti-héros est effectivement de son temps ce n’est pas par une acuité particulière dans la chose politique, ni dans une vision aiguë de ce qui l’attend, mais plutôt dans un besoin viscéral de se sentir appartenir à une communauté. Il choisira celle de l’armée et adoptera sa nouvelle famille avec toute la fougue aveugle qu’elle réclame. Signe de notre temps, on a pu voir récemment des adaptations au théâtre de ce roman mais, paradoxalement, la dramaturgie théâtrale noyait ce qui, dans les lignes de l’auteur et dans la mise en scène d’Isabelle Matter, semble simplement flotter dans l’air. Du fils aux fils, elle prend un chemin à la fois poétique et frontal où l’essence de la pensée d’Horvath se retrouve joliment livrée sur scène par des manipulateurs discrètement visibles ; ils sont aussi comédiens et prêtent leurs voix aussi bien que leurs mains aux êtres et aux objets qui s’animent au plateau. Détail qui n’en est pas : le texte parvient ainsi, limpide, et l’objet peut alors pleinement porter son rôle symbolique et son poids d’émotion.

Pas de soucis de réalisme ou d’exhaustivité, mais plutôt une attention aux différentes échelles des marionnettes qui marquent le temps qui passe ou l’importance que certains personnages prennent. Les synecdoques et les métonymies sont légions dans cet univers qui déclinent les sombres, les ombres et les jeux de lumière et rythment cette épopée un peu misérable à la recherche d’un but extérieur à soi. Pour en être, il aura fallu se battre sur plusieurs fronts, ces temps-là n’étaient pas à la légèreté, mais par la grâce des marionnettes, il est possible, le temps d’une représentation, d’en ressentir la douceur.