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Atoll, c’est le héros tragique de notre siècle, celui que les dieux ont condamné non pas à mourir, mais à vivre. Les dieux ? Quels dieux ? Les dieux ont quitté la tragédie denisyak. On les a chassés « à coups de pied dans le cul ». Et pourtant ils ne cessent de vouloir forcer la porte. C’est le dieu Pan derrière un voile de plastique, c’est le coryphée de « La Monstrueuse Parade » répétant inlassablement un vague discours radiotélévisé qui vient s’écraser au sol dans un déluge d’alexandrins (Victor Hugo lui-même, le pourfendeur de l’alexandrin classique, n’aurait pas tenté un « Avoir, Avoir, Avoir, posséder te possède »), c’est une croix diabolique à facettes descendant sur terre pour servir de banc aux vivants. Il ne reste plus que les hommes « rampant comme des vers au cœur d’un fruit pourri », enfermés dans leur folie et leur solitude. Enfermés, nous le sommes aussi dans la noirceur d’un espace indéfini et nous nous débattons avec les personnages « à travers des ténèbres qui puent », comme aurait dit le bon Baudelaire. La terre battue de la cave a été remplacée par un sol de suie, de charbons incandescents où les personnages se roulent, tels des porcs infernaux. On comprend (trop) rapidement qu’Atoll, la quarantaine accomplie, n’est qu’un Œdipe aux yeux grands ouverts et que l’âcre folie qui envahit son cerveau peuplé de démons dissimule une souffrance passée qu’Yéléna, interprétée par la sémillante Julie Teuf, ne cesse de raviver.

On avait quitté quelque peu déçu la cave de « SStockholm » vaguement éclairée par quelques néons fatigués et l’on redoutait de replonger dans la noirceur du collectif Le Denisyak qui, pour autant qu’il aime la lumière, semble décidément se mouvoir avec davantage d’aisance dans l’ombre. Disons-le d’emblée : nous n’avons pas été ébloui. Le crime aurait pu être parfait si de l’ombre avait jailli une véritable lumière qui ne fait que scintiller, dans les dernières minutes, au milieu d’un océan de plastique sous la lumière blafarde d’un pâle réverbère. Solenn Denis a toutefois le mérite de suivre avec constance la ligne qu’elle a tracée avec « SStockholm » et qu’elle a prolongée avec « Sandre ». L’homme-mère de « Sandre » est devenue monstre en reprenant la chair de sa chair. La mère-homme de « Scelŭs [Rendre beau] », puissamment interprété(e) par Philippe Bérodot, a engendré des monstres. La boucle est bouclée.