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Pièce du répertoire élisabéthain, moins connue que celles de Shakespeare, “La duchesse d’Amalfi” est une sanglante tragédie écrite par John Webster en 1612, qui mêle amour, vengeance et trahison dans une ronde macabre menée par la tempétueuse héroïne éponyme, personnage de femme libre s’opposant au patriarcat, moderne avant l’heure, qui, à ce double titre, compose ce terrier contemporain où ne cessent de renifler les nez opportunistes de metteurs en scène peu inspirés, le motif de la femme émancipée étant devenu un topos du théâtre actuel. Le collectif Eudamonia s’est donc emparé de la pièce, dans une nouvelle traduction qui constitue le seul véritable intérêt de cette adaptation : la superposition d’une langue contemporaine, franche et crue, avec des thèmes (folie, mal, mort) et une intrigue assez classiques (une jeune veuve amoureuse que ses deux frères empêchent de se remarier) élabore un effet de friction intéressant. Mais la mise en scène de Guillaume Séverac-Schmitz, qui parvient à pécher à la fois par outrance et par neutralité, n’étaye pas suffisamment le renouveau de la langue, si bien qu’échappent la valeur du texte et l’intérêt qu’il y a à l’adapter aujourd’hui. L’énergie des comédiens, la plupart du temps louable, a par moment tendance à hystériser la pièce, transformant son baroque lugubre en un clip produit par un générateur à l’esthétique de Mylène Farmer. Le plateau a beau être très dénudé, éclairé par quelques néons cliniques, s’éloignant par là des fioritures gothiques de l’artiste, quelque chose, dans les costumes, dans le jeu parfois exagéré des comédiens, rappelle l’univers libertin-cheap de la chanteuse. Alors même que la scénographie est réduite au strict minimum, la mise en scène donne le sentiment d’en faire trop, d’exacerber les attitudes (flash musicaux, gestuelle poussive), épuisant ce qui semble faire la force du texte, à savoir, sous la critique des vanités de la cour, une interrogation inquiète sur le mal. On en sort avec une impression de prélude à une adaptation télévisée.