Ce que nous en ferons

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Cédric, Fiamma, Ben et Albert sont les corps qui se relaient sur scène dans la nouvelle création de Fabrice Gorgerat au 2.21 à Lausanne. Ils sont là parce qu’ils cherchent, dans la profondeur de leur chair et de leur mémoire, un moyen de dépasser les contradictions irréconciliables qu’un événement extérieur impose à leur regard. Cet événement « accident », pris comme point de départ, est la tuerie d’Orlando, premier assassinat homophobe de masse qui plongea le 6 juin 2012 à 2 heures du matin une boîte de nuit dans le chaos. Ici, pas de préambule : l’urgence est telle qu’on entre dans le vif. Parce que si 2012 semble déjà loin, les tueries de masse qui se sont succédé ces dernières années en Occident ne cessent de renvoyer aux mêmes questions : qui sont les tueurs ? Comment expliquer leur geste ? Quel sens donner à ces atrocités pour conjurer leur absurdité et mieux vivre avec ? C’est par le truchement des approches personnelles de chaque comédien/performeur/danseur que Fabrice Gorgerat s’attaque à cette dernière question, en la retournant : comment apprivoiser, pour mieux vivre avec, l’absurdité de ces événements insensés ? Et ce sont les nerfs à vif que les interprètes entament un bras de fer avec eux-mêmes, dont l’onde de choc finale résonne comme une série de coups de poing à la face du monde.

L’économie de mots et de moyens fait ici la part belle aux corps, qui frappent, se transforment, s’étalent, chancelants ou affalés, dans l’espace restreint de leur intimité. Seuls, parmi une foule d’absents dont les projections lointaines dilatent le territoire exigu du plateau. Les formes pluridisciplinaires convoquées par Gorgerat s’harmonisent alors avec justesse pour créer cet espace de liberté dont les interprètes s’emparent avec force. Acte libérateur qui nous enjoint à faire de même : se demander que faire de ces atrocités pour dénouer les nœuds qui nous rongent de l’intérieur pour bientôt ronger irrémédiablement notre rapport à l’autre.