La figure de l'érosion

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Pour la 5e édition des “Monuments en mouvement”, le Panthéon accueille entre ses bras piliers et sous le front de son dôme les danseurs de Nathalie Pernette venus danser la statuaire du lieu.

Programme in situ, l’oeuvre a pour ambition de dialoguer avec l’histoire proprement pétrifiante dun endroit qu’on ne présente pas.  La majesté des décors marbrés nous conduit alors avec gravité vers le groupe de quatre danseurs disposés en ronde bosse devant le “Monument à la Convention Nationale” de François-Léon Sicard, première dissociation entre matière froide et matière chaude, puisque les corps chauds, sans être néanmoins lumineux, attirent l’œil dans la froideur du lieu. Progressivement le groupe s’anime, se meut dans une lenteur envoûtante sans que le regard ne réussisse à véritablement saisir le mouvement naissant. Les danseurs devancent alors peu à peu l’ancestralité de la pierre par l’évidence de leur présence. Contorsionnés pour équilibrer le balancier que forme leur chair, ils engagent un travail sur la sortie de l’immobilité stupéfiant. Toujours tenus, retenus au socle, ils s’abaissent, se soulèvent – et l’on sait la force politique de ce geste – et paraissent honorer le temps, habiles passeurs qui nous font renouer avec la mémoire d’un temps géologique. L’œuvre de Nathalie Pernette danse la beauté du corps collectif, et ses diverses représentations historiques ; les interprètes deviennent autant de Janus qu’ils sont d’humains, c’est-à-dire transformés en ouvreurs du temps. La musique de Franck Gervais est à l’image du travail d’orfèvre accompli par la chorégraphe, faite de couches et de surcouches, elle stratifie le temps présent, l’imagine bosselé comme déjà recouvert, enrubanné de temps anciens.

La deuxième partie est moins sensible et plus théorique, interroge l’individualisation des formes puisque les danseurs s’émancipent de l’ensemble qu’ils formaient, s’étant ouverts comme une corolle de corps de soldats morts figurant sur les monuments commémoratifs de la Première Guerre mondiale. Cette singularisation physique ne s’accomplit que dans la mécanisation des corps et renverse la vision première, fluide, glissante et mouvante du groupe. Chaque corps grince, cliquette, s’enraye pour ne plus souffler qu’une vapeur d’âme. La mathématisation du mouvement tend à produire des effets de grotesque, le rire nous secoue légèrement. Dans un cadre sublime, “La figure de l’érosion”, alliance de forces hugoliennes, joue l’esthétique romantique en costumes gris et s’en amuse. L’érosion est peut-être au demeurant une couleur, celle de l’estompe des formes et des émotions, la couleur du galet où disparaissent les signes comme l’écrit Ponge ; vision paradoxalement rassérénante de la création.