Je suis Alice

Alice Revisited

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C’est un spectacle sous le signe de la lune. En prenant au mot Lewis Carroll, Catherine Travelletti réinterroge cette terre des merveilles sur laquelle on se retrouve parfois parachuté par nécessité ou volonté exogène. Les prises de parole convergent vers une (ré)affirmation appuyée de l’identité – tous répéteront « Je suis Alice » – et plus encore vers le besoin vital d’appartenir à une communauté – être Alice ensemble. Ces dernières années, toute tragédie a été suivie par la marque de son appropriation par tous ; « Je suis Charlie » a connu les affres de la déclinaison. Ici, la dramaturgie utilise finement ces ressorts actuels et tricote les codes pour imager les failles au bord desquelles ces adolescents semblent flirter. La figure d’Alice, pourtant surexploitée sur les scènes contemporaines, se leste d’une gravité qui résonne et qui grince avec l’apparente légèreté qui la caractérise. Nous sommes ici pour apprendre, nous disent ces jeunes migrants, apprendre pour ne plus penser. Le gouffre guette, la mise en scène crée volontiers des parenthèses archaïques, où la bête primordiale semble rôder et se déployer au gré de la musique live ; des conseils du mille-pattes aux barrissements de l’éléphant en passant par les caresses enveloppantes et inquiétantes du chat, le bestiaire convoqué, loin de rassurer les apatrides, leur dévoile les ombres de la terre où ils ont échoué. Sans totalement occulter la question de la bien-pensance et de la pertinence de la présence au plateau de ces adolescents, tout comme d’ailleurs de la (non-)décence du regard du spectateur, la metteur en scène attrape son sujet du côté sensible et évite habilement le piège du pathos. La question reste cependant en suspens :si l’on abandonne au théâtre, aux outils du théâtre le soin de laisser advenir l’alchimie sur le plateau, eux seuls parviendront peut-être à résoudre cette équation délicate. La Lune en carton, changeante, veille sur cette inconstance et considère avec douceur toutes les fragilités qui s’expriment, des larmes des jeunes filles aux manifestations exutoires et jusqu’au dernier souffle, expiré ensemble avant le noir final.