La pelle de la forêt

Le Bruit des loups

DR

Des baguettes à abattre. Loin du prestige et des exploits, la magie nouvelle d’Étienne Saglio remodèle un certain régime spectaculaire : l’effet magique devient chez lui un « procédé » qui n’a jamais de valeur en soi mais constitue un actant dramatique, susceptible de répétitions comme s’il traduisait dans l’illusion quelque chose de la vie. Créé au Grand T après trois ans de travail, « Le Bruit des loups » est une fresque allégorique, un tableau initiatique où tout commence (comme souvent dans les crises fantastiques de l’existence) autour d’une pelle, d’un balai et d’un petit animal blanc (rongeur rongé ici…). Aussi merveilleuse qu’horrifique, l’antichambre en damier du pays des merveilles constitue une fascinante ligne de fuite, ouvrant au départ sur la lisière de l’autre monde, faisant ensuite apparaître en une fraction de seconde (instant mémorable du spectacle) une somptueuse forêt, animée par les apparitions intermittentes de son bestiaire indéfinissable (de l’ogre-loup au renard-gilet-jaune.) La générosité visuelle et la prouesse technique de ce conte sans paroles (qui devrait faire date dans l’histoire du jeune public, après le « Dormir cent ans » de Pauline Bureau, déjà marqué par cette inflexion forestière) ne sont pas encore au même niveau que sa dramaturgie, qui mêle audacieusement les registres et les dynamiques (du running gag à la pure apparition, du tableau vivant contemplatif à la vignette narrative) sans vraiment trouver d’unité et de progression. Les images peuvent alors nous paraître redondantes, parfois plus imprécises qu’oniriques, et l’invitation à écouter le cri des loups un peu déceptive, car pour « tendre l’oreille » et rejoindre ce régime sensible inconnu qu’il nous promettait il aurait fallu faire durer davantage les bruits et les situations, et déjouer plus radicalement nos caprices spectaculaires. Surmontons toutefois ces réserves grincheuses en avouant qu’enfants et adolescents sont comblés et acclament le jeune artiste comme il se doit, parce qu’il a su repétrir les symboles et la culture populaire (son renard-écureuil rappelant une grande star des glaciers) et reconquérir cette qualité suggestive des images qui manque souvent à certaines fables écologistes avides de discours.