“Le silence et aucun mot pour le dire”

Une maison

Une maison © Marc Domage

Une maison. Comme le lieu d’émergence de toutes nos fictions intérieures et l’espace qui permet à ceux qui l’habitent d’affronter le dehors. Comme un lieu de pensée et de vie, donc, mais aussi comme un endroit fermé que Christian Rizzo occupe pour nous ouvrir à la suite de son œuvre. De ses rêves.

À la suite, oui, puisque c’est en quelque sorte un nouveau cycle que le chorégraphe amorce avec cette pièce. Après une trilogie marquante fondée sur la réappropriation de pratiques de danses populaires qui avait pris fin avec le somptueux « Syndrome Ian » et à la suite d’une jolie pièce dédiée au jeune public, voilà que le chorégraphe cannois vient en effet de donner à Bonlieu la première mondiale d’« Une maison », signant ainsi le point de départ d’une nouvelle façon de pratiquer et de vivre la danse.

Si la pièce fait date par cette approche neuve, restent tout de même les marqueurs centraux des œuvres dernières de Christian Rizzo. Ainsi, l’espace se trouve coiffé d’une structure de néons qui rappelle les lumières du « Syndrome Ian », et le plateau est occupé d’une imposante motte de terre qui pourrait nous renvoyer à ce qu’était le cube blanc sur lequel grimpait Kerem Gelebek dans « Sakinan göze çöp batar » en 2012 au Festival d’Avignon. Une forme de continuité, donc, puisque l’artiste reste lui-même, ce qui n’efface pas à nos yeux ce que le chorégraphe propose de neuf dans cette proposition. Alors que les précédentes pièces nous ramenaient à l’idée d’un corps performatif et d’une danse de pulsion synonyme de vitalité et de force, voici qu’on aborde ici le geste dansé d’une tout autre façon. À sa manière, la danseuse Maya Masse résume avec justesse le sentiment qui s’en dégage quand elle évoque une écriture de l’espace et des corps qui impose aux interprètes de se placer dans un état d’absence plutôt que de présence à soi. Ou quand celui qui nous avait dernièrement habitués à faire de la danse un geste social et d’expression extérieure de l’être nous embarque à l’opposé de cela : vers le mouvement comme expression d’une intériorité et point de départ des êtres tourmentés que nous sommes.

Une autre vision, qui embarque et séduit par ses images, puisque là encore Christian Rizzo n’abandonne pas ce qu’il était et continue de tisser ce rapport graphique qu’il entretient au plateau. Ainsi s’enchaînent pendant l’heure que dure le spectacle des images à la beauté troublante, aussi poétiques qu’elles peuvent être violentes quand les couples s’enlacent, que les corps chutent et que la terre s’envole en nuages d’ocre dans l’air de la scène. Autant d’instants de grande intelligence et de beauté qui pâtissent pour autant parfois de ce que la démarche peut avoir de neuf. À l’image d’un jeune artiste qui essaie, Christian Rizzo nous ensevelit de signifiants et de symboles qui tous ont une place, mais peut-être pas encore la bonne, nous amenant vers un état de perte qui érode le fil de la compréhension de l’œuvre. Mais après tout, ne faut-il pas voir là à l’œuvre deux des plus beaux privilèges de la création : assister à l’œuvre d’un artiste qui cherche, et se perdre dans le silence des images de son intériorité.