Rite de passage

Il va où le blanc de la neige quand elle fond ?

(c) Philippe Pache

Toute la question est de savoir s’ils vont passer ou pas. Jean-Yves Ruf propose aux enfants une fable beckettienne, dans un écosystème qui pourrait être à la fois nulle part et partout. Le fond et le sol noirs sont d’une densité mystérieuse, propices à toutes les réflexions lumineuses ou philosophiques, et c’est dans une curieuse instabilité que nos trois personnages tentent de dépasser leurs peurs et s’acclimatent au silence. Cet échafaudage suspendu permet de jouer habilement avec les multiples dimensions de la scène, mêlant allègrement le sens des propos et celui de la gravité terrestre, la légèreté des corps et le poids des questionnements. Ici, le spectateur est considéré comme un être curieux et capable d’abstraction ; on lui évoque les origines du monde, la relativité du temps, les problématiques fascinantes du langage, et même si l’ensemble peut paraître par moments un peu brouillon ou redondant, ces miscellanées flattent les intelligences et ouvrent des champs de pensée XXL. L’un veut passer, l’autre lui fait barrage, et il faudra bien toutes ces questions sans réponses pour que la frontière tombe et que chacun puisse reprendre le cours de sa vie. Ce nœud dialectique sur la peur du changement est incarné au plateau avec sensibilité par Maxime Gorbatchevsky, qui compose un portrait d’homme étrange, drôle parce que tourmenté, mais à l’écoute de son environnement. Celui qui a choisi un caillou comme partenaire d’émotion s’endormira finalement sous la logorrhée de son congénère, libérant ainsi la voie. Le metteur en scène assume donc avec raison une pièce où la narration et la figuration sont réduites pour laisser la meilleure place aux divagations et au silence.