The sitting duck : pour une pensée critique en mouvement

Piece for Person and Ghetto Blaster

(c) Gregory Lorenzutti

Encore une ! Ces derniers temps on voit florilège de seules en scène, danse ou théâtre, exécutés par de brillantes jeunes femmes. Pour ne citer qu’elles, Cécile, Pamina de Coulon, Oona Doherty, ou ici Nicola Gunn, toutes transpirent l’intelligence et mettent avec talent la puissance du verbe ou celle du geste à leur service. Nicola Gunn mêle les deux.

En cercles concentriques, l’Australienne tisse une toile verbale à partir d’une anecdote qui ira s’amplifiant. Un homme accompagné de ses enfants jette des pierres à un canard. Choquée par la violence du geste, elle l’agresse verbalement, puis choquée par sa propre réaction se questionne sur ce dilemme moral : comment réagir face à la violence, qui a le droit de se poser en juge, où la ligne est-elle dessinée entre le bien et le mal ? Ce qui l’emmène, et nous avec, à se demander où se trouve cette même ligne entre fiction et réalité. L’art et la vie ? The line is not yet drawn… et elle s’appliquera brillamment à nous démontrer à quel point il est complexe de la tracer.

Deux choses fascinent et captivent tout au long de l’exposé. D’une part l’invention d’un langage corporel, articulé, précis, totalement neuf, alphabet inconnu dont on s’ingénie à lire le sens tout en s’appliquant à suivre le fil du discours parlé. Au-delà de la danse, au-delà de la performance athlétique, on est plongé dans un double signifiant à l’oralité mise en corps. Dans un ricochet mental qui nous tient en haleine, on suit les méandres ondulants de ce qui est dit et de ce qui est montré. En contrepoint de ces parlés fluides et entrecroisés, dialoguant souvent avec humour, la musique immersive de Kelly Ryall emplit l’espace d’un paysage électronique au rythme puissant.

Le deuxième point d’achoppement à la fascination quasi hypnotique du phénomène se mouvant là, en short rose, et grimpant parfois littéralement sur les spectateurs, est le développement de sa pensée critique autour de la question de l’art et de l’éthique du mal, au travers d’une écriture parfaitement maîtrisée. Une architecture mentale se dessine telle une roue déployée s’éloignant de son centre pour toujours y revenir. Chaque tour nous mène un cran plus loin et le cercle se resserre sur un piège de la pensée… mise en abyme finale qui nous laisse aussi cois que le canard qui ne semblait être, au bout du compte, qu’un des dindons de la farce. Parvenue à la résolution quasi mathématique de la rencontre de toutes les forces mises en œuvre, l’artiste part en claquant la porte… Et on ne dira rien de la magnifique métamorphose ultraviolette du canard en chant du cygne lorsqu’elle revient sur scène pour un parfait bouquet final.