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On se demande comment le « théâtre rasoir » est parvenu à faire son nid dans les murs de Peter Brook. On se demande aussi comment un jeune metteur en scène peut s’emparer d’un texte du répertoire avec autant de balourdise et de premier degré. Si cette pénultième « soirée de carnaval » est une œuvre plutôt méconnue (ne figurant pas dans les « comédies choisies » de Goldoni éditées en 2007 par Denis Fachard) c’est sûrement parce que son interminable intrigue sentimentale et les querelles artistiques vénitiennes qu’elle fait entendre paresseusement ne lui promettent pas la meilleure fraicheur. Écrite en 1762, la pièce s’éloigne par ailleurs du potentiel féministe de « La Locandiera » et Clément Hervieu-Léger n’envisage aucune représentation critique des rapports misogynes qu’elle rabiboche complaisamment. On rira alors de bon cœur d’un gaillard alcoolisé qui soulève les robes, d’une blague potache lancée à une cinquantenaire maquillée (« Il vaut mieux ressembler à une rose artificielle qu’à un vrai chou-fleur »), et jamais la candeur agaçante de Juliette Léger (interprétant Domenica) ne viendra produire le moindre dissensus. Délaissant les masques italiens pour regarder vers Moscou (comme Françon le faisait finement dans sa « Locandiera » la saison dernière), les comédien.ne.s (refusé.e.s de la Comédie Française ?) ne trouvent aucune justesse dans cette mise en scène académique qui leur impose des déplacements incessants et irritants. Dans cet écrin fantomatique des Bouffes du Nord qui distraie heureusement notre œil ennuyé, on espère de tout cœur qu’en brûlant le bonhomme carnaval, on n’aura pas vécu nous aussi notre dernière soirée de théâtre.