Autour du pot

Le Dragon d'or

DR

Dans la procession qui se forme après le tomber de rideau, l’écho de la mise en scène du texte « Le Dragon d’or » de Roland Schimmelpfennig par Robert Sandoz opère encore : l’univers sonore remarquablement rythmé par Olivier Gabus nous porte à la rêverie. La pièce s’est ouverte par un décor fonctionnel qu’aurait pu proposer une maison de meubles scandinave. Ambiance workshop pour jeux d’acteurs, plutôt que « wokshop » comme prétexte annoncé pour traiter des outrages faits aux invisibles et aux plus vulnérables. Une dent arrachée, jetée dans le monde : coup de théâtre sur fond de complications sociales. Tout semblait pourtant réuni pour nous bousculer : Sandoz, qui clôt sa trilogie sur la société industrielle, et Schimmelpfennig, grand nom du théâtre allemand actuel. La chose est racontée plusieurs fois au gré de brèves variantes punchy. On est admiratif de la performance des acteurs, sans pour autant être convaincu qu’il y ait eu là ce qu’on appelle à l’ordinaire un « événement ». Et si on reconnaît bien le rythme saisissant du livret – la mise en scène reste nerveuse –, des répliques finissent par lasser (« Manger épicé, c’est difficile… »). Un fait est raconté selon diverses perspectives, dans les ultimes moments décisifs : Schimmelpfennig nous y a habitués. Au centre : le jeune Chinois à la dent gâtée. Avec son arrachage sadique, le cours des choses vole en éclats et se diffracte en des scènes qui déclinent à l’envi violence, injustice, exploitation ordinaires. Autour du travailleur immigré et de ses compagnons d’infortune dans une cuisine asiatique, chaque acteur incarne avec brio plusieurs figures : un vieux désabusé, un commerçant maquereau, des couples abîmés, deux hôtesses de l’air. On jongle avec les clichés. Mais dix ans après sa parution, cette manière même virtuose de traiter des poncifs ordinaires pose problème. Sans aller à l’essentiel, on tourne inlassablement autour du pot. Et on laisse à d’autres la tâche d’aller là où ça fait mal : au cœur des processus d’aliénation.