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Par Bénédicte Brunet 

Drôle d’époque qu’est la nôtre qui voit apparaître deux types de maux d’un genre nouveau dont on ne saurait encore trouver l’issue : l’éco-anxiété ou « solastalgie » d’une part, qui se traduit par un sentiment de détresse face à la dégradation irrémédiable de notre environnement, et, d’autre part, ce que j’appellerais « l’homo missio* » : sorte évoluée de l’homo sapiens, qui en plus d’avoir les caractéristiques de celui-ci, devrait se réaliser à travers une mission claire et distincte sur terre et qui provoque au mieux (ou au pire) l’avènement d’une start-up nation d’individualités exacerbées prêtes à tout et à tout faire, de tutos boulimiques de résultats sur Internet, et d’une soif insatiable de reconnaissance et de domination. Entre un état dépressif ankylosant et une frénésie maniaque et bavarde, l’humanité semble à bout de force.

Et devant ce constat quelque peu angoissant, la nouvelle pièce du metteur en scène lausannois Fabrice Gorgerat “Peer ou, nous ne monterons pas Peer Gynt”, agit comme un chant poétique teinté de clair-obscur. Aidé au plateau de cinq performeurs au jeu saisissant et d’un subtil travail au son et aux lumières, Fabrice Gorgerat semble d’emblée avoir fait le choix non pas d’adapter le propos du Peer Gynt d’Ibsen, mais de le dépasser. Comme en miroir à sa précédente pièce “NOUS /1”, qui s’interrogeait sur les processus personnels permettant d’apprivoiser l’absurdité des catastrophes globales, “Peer ou…” pose ici la question de la quête du commun. Comment à nouveau vivre ensemble sur les décombres d’un monde que l’on s’est tous, plus ou moins consciemment, employés à détruire ?

Alors d’abord peut-être faire taire les injonctions à penser et à parler coûte que coûte, retrouver le sens premier du rituel, réinitialiser sa relation au matériel, corps et objets… Vaste programme qui nous semble soudain à portée de main quand il se déploie au travers d’une scénographie mouvante faite de petites installations réalisées en direct, tout en équilibre, magnifiques synthèses entre accumulation et minimalisme. Alors pierre après pierre on se souvient comment le geste précède le mot. Un geste renouvelé, comme une étape indispensable à la formulation de nouveaux langages et de nouveaux imaginaires. Et l’on se perd volontiers dans ce labyrinthe des possibles, rempli d’espoir, émerveillé, comme un enfant.

*missio, latin de mission