DR

Le temps s’arrête, expectoré. Pris à témoins, nous subissons l’idiome nazi comme une thoracique pesanteur. Cette scénographie à la troublante sobriété nous déplace sans retour dans les rigueurs de l’été 1944. Transpatialisation transmédiale en vert de gris taché d’horreurs spasmodiques. L’emboîtement monotone de formes grossières aux lignes bien droites, précipitent sous nos yeux la nauséabonde fermentation des rousseurs amères de la folie totalitaire. Pareil au choeur des drames très antiques, impossible ici de ne pas entendre le cri insistant des déportés. “Le Courage de ma mère”, texte bouleversant de George Tabori, taille inexorablement le jable de notre mémoire. Et pour sa déconcertante mise en scène, on prête volontiers à Eric Salama la compagnie de Brecht et de Hölderlin. Dans un chiasme saisissant, Tabori et Salama nous accordent sans partage au destin de cette mère Courage dont l’instinct de survie lui fit composer avec l’inacceptable. Son courage rend familier ses ordinaires obscurités. Et le gestus populaire yiddish subtilement tendu est admirablement porté par l’écho d’un accordéon mélancolique. Les contrepoints de distanciation se déclinent avec à-propos telles des systoles inlassablement incarnées par des acteurs comme des équilibristes toujours en mouvement, jamais épuisés à chercher le vrai et le juste. Le sentiment lyrique qui se forme peu à peu s’élance vers ses points culminants, où se condensent, en un instant, tout le contenu de la vie et tout ce qu’elle retient et promet de plaisir, de douleur et de terreur. Alors désagréablement dérangés, sont ceux qui refusent de voir ce qui reste d’Auschwitz dans notre monde, de regarder en face le fonctionnement des totalitarismes actuels ; indisposés, ceux qui jouissent du mythe d’un univers concentrationnaire manichéen. Dans un rai de lumière, Elsa, la mère, et les autres apparaissent dans leur nudité, sans supplément d’âme. Il fallait oser.