DR

Avec sa série de concerts consacrés à Camille Saint-Saëns, le Palazzetto Bru Zane fait preuve, une fois encore, d’un brillant travail de diffusion et promotion du patrimoine musical romantique français. La programmation traverse la palette musicale du compositeur de part en part afin de mettre en valeur les divers genres auxquels s’est essayé Saint-Saëns, ainsi que de nombreuses œuvres généralement moins connues. La sélection impeccable de jeunes et talentueux artistes compte notamment le merveilleux Duo Contraste, composé du ténor Cyrille Dubois et du pianiste Tristan Raës. L’alchimie des deux hommes crée un spectacle d’une splendeur infinie, à la fois soucieux du détail et doté d’un beau mouvement d’ensemble qui dégage une énergie généreuse et transcendante.

Leur ballade musicale se concentre sur quatre cycles de mélodies conçus par Saint-Saëns et ses contemporains, Gabriel Fauré (son élève), Théodore Dubois (qui lui succède comme maître de chapelle à l’église Sainte-Clothilde puis à l’église de la Madeleine) et Reynaldo Hahn (figure légèrement plus tardive qui avait fait lui-même l’objet d’une autre série de concerts au Palazzetto l’année passée). Le corpus dessine un voyage qui prend comme point de départ Venise (« Cinq Mélodies de Venise » et « Venezia ») pour s’éloigner en douceur (« Musiques sur l’eau ») et finir à l’est, dans un ailleurs oriental (« Mélodies persanes »).

Guide extraordinaire, Cyrille Dubois sait chercher jusqu’au fond des textes et contours mélodiques pour extraire la sève expressive de l’écriture musicale propre à chaque compositeur. Le geste est renouvelé à chaque mélodie avec une immense précision, aidé en cela par le jeu formidable de Tristan Raës qui propose un support narratif hors pair. Les délicatesses harmoniques, qui gagnent en intensité au fur et à mesure du concert pour culminer chez Dubois puis Saint-Saëns, sont parfaitement rendues au clavier.

L’esprit de variété qui préside à la performance met en avant la diversité des partitions tout en restant soucieux de trouver du liant entre chaque cycle. L’intelligence suprême de Cyrille Dubois réside dans son travail déclamatoire qui articule une technicité vocale somptueuse avec une présence physique excellemment dosée. Cette dernière ne trouble jamais la perfection de la diction ni la justesse du souffle. Le ténor devient ainsi un narrateur génial, tour à tour sujet et objet, regardant et regardé.

Les lyrismes propres aux poèmes et à la musique se mêlent dans ce gosier fantastique pour accoucher d’une expérience charnelle unique. Le monde de la mélodie française dévoile un réservoir d’écritures fantastique qui met en scène la voix de différentes manières : ici, le surgissement sur l’horizon frêle du souffle (assez spectaculaire chez Théodore Dubois) ; là, le timbre brillant soumis à des sauts d’intervalles aux couleurs italiennes (comme chez Reynaldo Hahn). À certains moments, la voix à nu naît sur le tranchant de l’exhalaison ; à d’autres, un tourbillon d’énergie saisissant transperce l’âme. L’univers vénitien passé au filtre de cette musicalité si particulière crée un réseau poétique puissant que servent et magnifient sans pareil ce duo français.