Toujours enclin à interroger les affres de nos nouveaux modes d’interaction comme il l’avait fait récemment pour le coworking dans « J’ai un nouveau projet », Guillermo Pisani nous propose de mettre la représentation à l’épreuve du confinement. Comment continuer à « faire théâtre » quand le rapprochement des corps est interdit ? Il suffit pour cela de questionner la notion même de présence et de contourner les poncifs qui jugent les outils informatiques incapables d’être vecteur de vivant et de rencontre. La preuve par l’exemple avec ce surprenant « Là tu me vois ? », qui se déroule en visioconférence.
Nous patientons d’abord dans le « hall », en attendant que l’agent d’accueil du théâtre « ouvre les portes ». Nous avons alors accès à trois salles de conférences différentes dans chacune desquelles se déroule une situation qui rappelle les usages les plus courants de ces nouveaux outils numériques de regroupement : la famille, le divertissement et le travail. Ainsi, nous passons à loisir d’un karaoké à la veille d’un malade sur son lit d’hôpital via les débats participatifs de l’AG constituante d’une Scoop. Dans chacune de ces salles, le public est invité à participer à des degrés différents : chanter, bouger, donner son avis, les comédiens servant de régulateurs de la parole de façon très naturelle. Mais ces trois espaces vont se révéler reliés par une narration commune à travers les personnages de trois femmes : mère, fille et petite-fille d’une même famille. Nous voilà donc de temps à autre aspirés par la curiosité de suivre le cours de l’histoire dans telle ou telle salle, en suivant les comédiens dans leurs péripéties autour du deuil, du renoncement et du renouveau jusqu’à une sympathique résolution sous forme d’apéro à distance.
Il y a d’abord l’excitation de voir un nouveau type de dramaturgie s’inventer sous nos yeux. Cette pièce, fort bien maîtrisée et pourtant élaborée en peu de temps, est une formidable promesse de renouvellement des formes. « Là tu me vois ? » démontre encore une fois que les artistes, par leur créativité, parviennent toujours à s’adapter aux nouvelles contraintes et à surprendre le spectateur. Il s’agit d’embrasser les mutations sociales plutôt que de les regarder d’un œil condescendant ou nostalgique, et d’en extraire et partager ce dont nous avons vraiment besoin pour faire commun.