(c) J.P Estournet

L’entreprise Securilif vend un monde sans danger. Dans ce scénario d’anticipation, Pierre Meunier présente une dystopie glaçante et teintée d’humour noir.

Nos fantasmes de bulles isolées, de cocons mous, s’incarnent dans un exosquelette (“bubble man”) protecteur fait de scotch et de papier. L’armure est construite de telle manière à faire rire la personne à l’intérieur dès qu’elle est agressée. La femme à l’intérieur est hilare sous les coups de ses collègues… jusqu’à ce que le personnage, ridicule dans son armure, incapable de se mouvoir, soit suspendu à une corde, soulevé de terre, riant toujours, puis s’écrase de 3 mètres de haut, sur le ventre, s’affalant sur la scène, dans un court moment de réalisme brutal.

Il y a un rapport analogique entre les produits vendus par Securilif, qui sont tous des moyens d’enfermement, et les dispositifs du théâtre lui-même, espace public par excellence, donc espace de danger potentiel. “Securilif” est d’ailleurs né d’une rencontre intitulée « La peur dans les théâtres » (en 2015, au festival d’Avignon) organisée par la compagnie La Belle Meunière. Ce qui transparaît, entre le burlesque et de l’absurde, c’est la tragédie latente, la tension, qui fait se situer chaque scène au seuil d’un accident ou de la folie. Securilif veut vendre des produits supposés annihiler tout danger, finissant tous, bien sûr, par être catastrophiques, les personnages se retrouvant piégés dans leurs dispositifs (échafaudage, grillage, fils de fer dansant, lance-balles de tennis…).

L’analogie est consommée lorsqu’ils installent un grillage – d’une actualité qui fait froid dans le dos – au bord de la scène, matérialisant un quatrième mur, devenu bien réel et concret, alors qu’une voix off éclate dans le noir, derrière les spectateurs. Elle nous susurre de ne pas prendre peur, nous rappelle les slogans de l’entreprise, qui sont tous un ramassis de mots d’ordre. Devant nous, le grillage, derrière nous, la voix paternelle : nous aussi, nous sommes pris au piège. “Securilif” n’épargne aucune situation absurde : le rire est peut-être la seule protection qu’il reste pour désamorcer la violence des structures d’enfermement.