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Peut-être faut-il commencer par dire que l’on apprécie le travail de Julien Duval avec la compagnie Le Syndicat d’Initiative et que sa mise en scène du texte de Philippe Dorin, « Dans ma maison de papier, j’ai des poèmes sur le feu », nous avait ému. Et c’est parce que nous nous sommes élancé plein d’espoir et d’envie dans la grande salle du Théâtre National de Bordeaux Aquitaine que la déception n’en a été que plus grande. Julien Duval n’est pas le premier à s’attaquer au texte épineux, parce que simple en apparence, de « Candide ». Son auteur, s’il fut un éminent polygraphe, ne fut cependant jamais un grand philosophe et encore moins un dramaturge de talent. Peut-être est-ce pour cela qu’il a choisi le genre du conte pour narrer cette historiette à la morale énigmatique ?

Toutes les adaptations de « Candide » que nous avons pu voir ont buté sur cet écueil propre au texte voltairien : Candide est un être pris dans un mouvement perpétuel et cyclique ; sa pensée évolue au rythme de ses pérégrinations universelles. L’abstraction de l’ingénieux décor, conçu par Marc Valladon et Raphaël Quillart, permet de passer d’un pays à l’autre tandis que l’avant-scène, sorte de mansion moderne, devient le lieu du voyage et de l’errance. Mais la répétition faite de variations, source de comique dans le conte voltairien, une fois transposée sur le plateau brise le rythme de la mise en scène et nous nous retrouvons pris dans une sorte de boucle dont nous ne voyons plus la fin. L’interprétation dramaturgique peut elle aussi poser question. Alors que l’ironie désamorce à chaque ligne l’exagération de l’horreur dans le récit voltairien, Julien Duval choisit de nous plonger dans l’univers sucré d’un conte léger et aérien tout en confrontant le spectateur à une violence sans filtre. Or présenter l’horreur sous forme de tableaux qui nous sont malheureusement familiers à l’heure des médias de masse, à l’instar de la pendaison de Pangloss ou de la flagellation de Candide, dans un décor pastel crée un déplaisant déséquilibre.

Notre déception fut donc à la hauteur de nos attentes. Je ne saurais toutefois terminer ce court billet sans reconnaître que la fabuleuse imagination de Julien Duval et l’interprétation de ses comédiens sauvent cette adaptation. Quelle idée formidable que celle d’avoir donné à Pangloss, interprété par Franck Manzoni, les traits d’un Michel Foucault burlesque, devenu un incorrigible optimiste délivrant ses leçons à la face d’êtres hilares ou candides ! Mention spéciale à la délicieuse Cunégonde, interprétée par Zoé Gauchet, dont le jeu, juste et précis, permet au personnage d’avancer sur un fil sans jamais basculer dans le clownesque.

La rencontre ce soir-là n’eut, pour nous, pas lieu, mais l’enthousiasme du public composé essentiellement de jeunes gens suffit à justifier l’existence d’un tel travail. Et nous attendrons désormais avec impatience la prochaine mise en scène de Julien Duval et de sa belle compagnie.