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Après le sublime « Grande », la nouvelle création de Vimala Pons continue de décliner des formes hybridées entre cirque et théâtre, autour d’une pseudo enquête policière : « Le Périmètre de Denver » s’avère une exploration sémiologique et poétique hors normes.

On connaît, depuis la figure narrative tutélaire de l’ « Oedipe-Roi » de Sophocle, passé à la moulinette freudienne, les liens étroits qu’entretient le genre policier avec la psychanalyse et la philosophie : qu’est-ce donc que la recherche de la vérité – à commencer par sa propre vérité à soi – si ce n’est une énigme à résoudre ? Une partie de la littérature policière, déjà défendue par Chesterton en 1901 et par Sartre cinquante ans plus tard, a su d’ailleurs se dégager du simple jeu rhétorique d’induction et de déduction pour se glisser dans les méandres des questionnements sociopolitiques, témoignant d’une puissance toute réflexive rejouant à l’envi des variations sur la faute et la culpabilité.

Le fait-divers théorique proposé ici (la mort d’un homme dans un hôtel de thalassothérapie et les interrogatoires qui s’en suivent) est à bien des égards la version postmoderne d’une enquête qui n’a que faire de sa propre résolution ou, plutôt, dont celle-ci demeure l’accessoire passage vers une dimension poétique et non discursive. Si son prétexte se situe à mi-chemin entre le « Rashomon » de Kurosowa et une partie de Cluedo, « Le Périmètre de Denver » délaisse vite la rationalité et l’efficacité propres au genre policier pour suivre une voie nettement plus ludique, dans un espace-temps tout à fait cadré scénographiquement (le fil narratif est sous-tendu par des horloges numériques et une voix off transitionnant les séquences) bien que déconnecté du réel.

Car l’enquête proposée est avant tout un leurre sémiologique qui interroge moins la connivence entre le signe et le sens que l’impact décloisonné de l’un et de l’autre : c’est à cet endroit que le théâtre d’objets circassien de Vimala Pons est le plus fort, tant il parvient à créer une forme paradoxale qui est à la fois parfaitement ancrée dans son époque – satirique, déconstructive et gender fluid – et singulièrement hors sol. Cette absence d’univocité du regard, en dépit du caractère volontiers ultra répétitif de la dramaturgie dont l’effet de surprise s’étiole malheureusement au fur et à mesure, est la conséquence de l’absence de toute herméneutique venant surplomber la lecture du spectacle. En somme, il ne reste qu’à se laisser guider ou non, selon son état psychique du moment, par l’énergie débordante et polysémique de Vimala Pons qui échappe à toute tentative d’enfermement.