Homo Homini Leo

Les Deux Frères et les lions

Les deux frères

D.R.

Deux jumeaux en veste et jogging bleu électrique super eighties. Des tasses de thé offertes en chantonnant aux spectateurs qui attendent dans la file. Entrez dans une chapelle minuscule : une quarantaine de places et deux fauteuils velours fin Victoria-début Édouard VII sur la scène. Venez et traversez à la suite de sir Frederick and sir David Barclay le xxe siècle britannique : money, gentrification and eventually legacy matters (« argent, embourgeoisement et à la fin problèmes d’héritage »).

L’homme est un lion pour l’homme. C’est vrai et c’est très anglais. Comme Hobbes. Comme le thé. Comme Her Majesty the Queen. Et comme ces jumeaux working class, vendeurs à la criée du « Daily Telegraph » dont ils seront les propriétaires revanchards cinquante ans plus tard. Deux produits parfaits et exemplaires de réussite économique et sociale au cœur de notre si douce et si belle société de consommation de masse. Deux enfants débrouillards venus à Londres non pour s’enliser avec les cockneys mais pour s’élever.

« Que sert-il à un homme de gagner le monde entier, s’il perd son âme ? » (Évangile selon saint Marc, 8,36)

Élévation sociale, indeed but without élévation morale. Et voici ces deux frères singeant les lions qu’ils affrontent, devenant eux-mêmes les arrogants qu’ils dénonçaient… et gagnant à chaque coup de dents désormais. Jusqu’à ce que les habitants de Sark Island résistent à leurs ultimes volontés au nom du dernier système féodal européen misogyne et aristocratique (oui oui, une île Anglo-Normande à quelques milles des côtes françaises). Les frères croqueront-ils ces derniers ?

« When the going gets tough, the tough get going » (« Quand la situation se durcit, seuls les durs s’en sortent »).

Dans la Bible, on appelle cela une « parabole » : une histoire simple, presque banale, qui renverse ce que nous pensions savoir de notre monde. Deux enfants qui sortent de la misère ? On applaudit. Deux jumeaux qui sont les enfants chéris d’un siècle de croissance ? On s’amuse. Deux vieillards qui mettent leur île au chômage pour parvenir à leurs fins ? On rit jaune. Trop tard : les jumeaux ont le pouvoir de dresser les lions et de les enfermer dans un cirque pour les faire défiler à leurs bottes. Le pouvoir a un visage et c’est un visage satisfait, les yeux brillants de graisse, de bien-être et de paranoïa. Dans la Bible, une parabole est une bonne nouvelle qui réjouit et qui réveille. Ici, l’histoire se révèle à la fin triste et angoissante, irréelle et cauchemardesque, comme un journal de 20 heures.

Cette pièce est exceptionnelle. Un petit bijou. Un Janus théâtral : dramatique et comique, énergétique et désespérant, attachant et inquiétant, à l’image de ce monde libéral sans libéralité, où ce que l’on ne pouvait acheter jadis se vend désormais publiquement et où l’on invoque le bien commun les yeux mouillés pour défendre les intérêts particuliers. Deux comédiens faux jumeaux et vrais talents qui courent à travers cette histoire véridique de parvenus qui parviennent à leurs fins, comme on dévore un repas après avoir eu trop longtemps faim.

Good morning England ? Ou « bonjour Tristesse » ?

Frère Nicolas, dominicain