Culottes et kalachnikovs

Vive l'armée !

(c) Superamas

(c) Superamas

Le collectif SUPERAMAS arpente les scènes européennes depuis plus de quinze ans avec son esthétique kitsch et potache, ses créatures plastiques et son goût prononcé pour la performance provocatrice. C’est ce même univers politico-fétichiste qui s’attaque aujourd’hui à notre regard porté sur les combattants. Alors, vive l’armée ?

Notre pays est « en guerre contre le terrorisme » (c’est Manuel Valls qui l’a dit), et l’armée française atteint un niveau record de popularité. De quoi se poser une foule de questions : c’est quoi la guerre aujourd’hui ? Et le terrorisme ? Il a un visage, le terrorisme ? Un corps sur lequel tirer ? La notion de conflit implique nécessairement deux opposants se faisant face, mais il apparaît soudainement très compliqué de dresser le portrait de celui que l’on nomme « ennemi ». Les jeunes soldats français eux-mêmes ne savent pas sur qui ils ont tiré dans le noir, là-bas, à l’autre bout du monde. C’est toute cette absurdité, ce flou général de la guerre moderne dans lequel les médias comme les hommes politiques – si tant est qu’on puisse encore faire une distinction entre eux – nous maintiennent avec talent que SUPERAMAS a choisi d’exploiter sur scène.

Défilé de mode sous le regard de « La Liberté guidant le peuple », les mannequins portent des drapeaux français et des couvertures de survie en guise de robes, des ceintures de balles en bandoulière et des casques à clous sur la tête. C’est le glamour de la guerre, on glorifie le soldat et son choix délibéré de combattre au nom de la France. Pourtant, dans un pays en état d’urgence, la liberté est vite rhabillée (spéciale dédicace à Manuel). L’idée est belle, mais les premières notes de faiblesse dramaturgique se font entendre dès cette scène d’ouverture qui s’étire en longueur et se répand en messages surperflus. Elle se révélera être à l’image de la proposition tout entière : volontaire mais fâcheusement bordélique. SUPERAMAS a besoin de parler, de dire sa colère, mais à trop vouloir en dire le collectif se perd et se laisse happer par le gouffre du théâtre contemporain multidisciplinaire à message politique. Le défilé se transforme en prise d’otage par deux mannequins armés en culotte et talons hauts réclamant à « madame la présidente » le retour à un État de droit. Puis, brutalement, la scène se vide et le film de l’intervention du collectif auprès des lycéens de la Somme est projeté, sans aucun souci de mise en scène pour faire dialoguer la scène et l’écran. On pose de nouvelles questions : pourquoi la guerre ? Et qui la fait ? Pas ceux qui la déclarent. L’implication des jeunes est très puissante, on regrette qu’ils ne soient pas sur scène avec nous, au théâtre. Et hop ! On revient à l’action, ambiance services secrets façon blockbuster américain. On assiste cette fois à une pantomime étrange et grotesque, chorégraphie rythmée par une bande-son martiale qui achève de nous perdre, nous laissant seuls dans le noir avec toutes ces questions sans réponse. Jets de fumée, rayons lumineux et coups de feu, la terroriste est abattue, « Vive la République, vive l’armée, vive la France », le tout conclu par une chanson originale façon western sur coucher de soleil et aurore boréale.

« Vive l’armée ! » apporte un propos juste et urgemment nécessaire dans le débat public, mais ce potentiel bombesque est mis à mal par une mise en forme chaotique au rythme, soyons honnêtes, vraiment foireux. SUPERAMAS a eu les yeux plus gros que le ventre, a projeté une « fresque épique et spectaculaire » là où il s’est abîmé dans un pot-pourri d’images et de symboles qui nous laisse, citoyens apeurés que nous sommes, sur notre faim.