XS : les petites formes qui ont la frite

XS

(c) Jean Lambert

(c) Jean Lambert

Depuis 2015, le festival d’Avignon s’associe au Théâtre national de la Communauté française de Bruxelles pour présenter quelques-unes des formes brèves qui ont marqué la dernière édition du festival XS. Pluridisciplinaires, ces propositions ne dépassent pas 25 minutes et sont l’occasion de découvrir des pépites de la nouvelle scène belge.

Cette saison, trois spectacles hétéroclites s’enchaînent dans le jardin de la Vierge : une séquence de théâtre absurde, une pseudo-conférence sociétale et un duo circassien. Fut-ce le mistral apportant un frisson lyrique à la façade de la cour ? La légèreté des formes, tour à tour drolatiques et poétiques ? Ou la créativité des expressions, tranchant avec le consensuel lourdingue de tant de propositions du festival ? Toujours est-il qu’après la virée de I/O au Kunstenfestivaldesarts de Bruxelles, en mai dernier, nous confirmons qu’il ne faut pas hésiter à franchir la frontière pour insuffler une fraîcheur réjouissante à la scène contemporaine.

« Axe, de l’importance du sacrifice humain au xxie siècle » est un projet de Thierry Hellin et Agnès Limbos qui pose une ambiance ionescienne avec son salon bourgeois façon « Cantatrice chauve ». À moitié nu dans un pyjama en soie, des cuissardes à ses pieds, un fusil à lunette planqué sous la table en pin très british, l’homme a dès le début un pied hors de la réalité. Et tout dérape lentement : le chandelier se liquéfie ; la statuette kitsch du chat s’écroule ; le décor vacille (Limbos vient du théâtre d’objets, et cela se sent). Le couple tente vainement de communiquer autour de codes sociaux dégénérés. L’horloge aux proportions absurdes marque un temps qui n’a plus rien de linéaire. Les corps et le langage sont distordus, écho à l’errance intérieure qui semble miner ces deux « ploutocrates » ayant perdu tout repère. Si on ne sait pas trop où veut nous mener « Axe », on se laisse volontiers embarquer dans cette saynète absurde.

Antoine Laubin interroge le concept de « Heimaten », qui désigne en allemand à la fois le foyer, la nation et là d’où on vient. « Les Inuits ont 52 mots pour désigner la neige, et voilà un mot aux 52 significations. » Alors les clichés culturels s’entassent volontairement (les moules-frites des Belges ou les mines ukrainiennes) pour essayer de comprendre « où commence et où finit chez soi ». En duplex simulé par écran géant avec un couple de comédiens d’ex-RDA, Hervé Piron et Lily Noël débitent question sur question sans apporter de réponse. Dialectique un peu faiblarde qui aurait pu être poussée encore plus loin dans ses retranchements. Quelques fulgurances, toutefois, comme la chanson de Barbara « Göttingen » balancée a cappella aux deux Allemands interdits, et la réplique de ces derniers à l’interrogation « Êtes-vous fiers d’être allemands ? » : « Pour Goethe, Beethoven et les grands compositeurs, oui, pour Auschwitz un peu moins. »

C’est enfin « Les Idées grises », conçu et interprété par Bastien Dausse et François Lemoine, qui aura été la claque de la soirée. « Monsieur Rouge » et « Monsieur Bleu », acrobates virtuoses, composent une sorte de gymnastique à tendance tui shou, très influencée par l’école de cirque chinoise. En trois séquences, ils déploient une parodie haletante des films d’action à l’aide d’accessoires insolites (une ventouse, une casserole et un mini-canon). Un peu comme si Tarantino s’était mis à la chorégraphie sous chapiteau. Suprêmement poétique, le duo s’appuie sur des mouvements millimétrés et un rythme à couper le souffle, jouant sur la distorsion de l’espace. Un spectacle porté par la compagnie Barks, à découvrir dans son intégralité à la biennale du cirque de Marseille en janvier 2017.