Après le déluge

Un monde qui se noie

Francisca Chagas dos Santos, District Taquari, Rio Branco, Brésil, mars 2015, série Portraits submergés. © Gideon Mendel

On dirait que cette édition des Rencontres 2017 a fait la part belle à la photo documentaire. Migrations, guerres, dictatures ou catastrophes écologiques : nombreux sont les travaux qui témoignent d’un monde en crise. Gideon Mendel, lui, s’est frotté au phénomène des inondations. Depuis dix ans, le photographe sud-africain, connu pour ses travaux humanistes sur le sida ou l’apartheid, sillonne la planète pour enregistrer les traces laissées par l’eau sur les maisons et leurs habitants.

Face aux crues qui noient les rues et dévastent les intérieurs, quelle attitude adopter ? La colère, la résignation, le désespoir, la tristesse ? Une prise de conscience écologique ou cynique ? De l’Angleterre au Brésil en passant par l’Australie et les Philippines, loin de tout misérabilisme, le photographe sud-africain dresse des portraits très dignes des victimes, parfois émouvants, parfois apaisés. Est-ce un clin d’œil à la célèbre peinture American Gothic ? La photographie frontale d’un couple britannique, pris en combinaison verte devant sa maison, rappelle celle des fermiers austères de Grant Wood qui, la fourche à la main, font face à la Grande Dépression. Une façon de dire que, crise économique ou réchauffement climatique, les fléaux sont toujours fabriqués par les hommes ? Ce qui frappe, sur ces grands formats aux couleurs chaleureuses, c’est le dénuement et l’acceptation de ces hommes et ces femmes aux mains vides. La distanciation instaurée par la mise en scène peut nous y faire projeter l’allégorie de notre condition : « L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive / Il coule, et nous passons ! », écrivait Lamartine. On aime particulièrement la vidéo « Chapitres de l’eau » qui complète l’exposition : la caméra, qui suit de dos le retour des habitants sur les lieux naufragés du monde entier, nous fait voir à travers leurs yeux le désastre. L’eau parfois jusqu’à la taille, on pousse avec eux la porte de leur maison.

Au-delà du constat, le lauréat 2016 du Jackson Pollock prize for creativity propose un regard neuf sur le quotidien, dépaysé et poétique, au sens où l’entendait Cocteau : « sous une lumière qui secoue la torpeur », il invite à considérer « les choses surprenantes qui nous environnent » d’un œil nouveau. A la décrue, on se sent un peu comme Noé après le déluge : la vidéo révèle l’apparition d’un nouveau monde, qu’on découvre à coups de rame, dans les rues métamorphosées en canaux. L’eau se fait miroir des paysages. Le familier devient inconnu. La sensualité et le silence émergent des images, troublé seulement par les clapotis et le chant retrouvé des oiseaux.

Pour finir, une troisième série propose des agrandissements des clichés personnels des sinistrés, exhumés des tiroirs. Le résultat est magnifique. Le papier photo, altéré par l’eau, s’éclabousse de couleurs incroyables, alchimiques : on dirait des fresques écaillées, des repentirs où se décèle une intimité révolue – le passé oblitéré par les hasards de l’eau, la plus féconde des artistes.