Brûlot indigeste

Les Parisiens

Ce qui est embarrassant dans “Les Parisiens”, adaptation du roman d’Olivier Py par lui-même, ce n’est ni la focalisation lourdingue sur le stade génito-anal, ni la tendance au communautarisme du propos – organisé selon des typologies plus ou moins étanches, les pédés, les putes, les Parisiens – ni le caractère autobiographique suintant l’ego-trip de son auteur, ni même l’ennui que suscite son texte, à travers lequel des vérités générales tentent de se faire passer pour des fulgurances,

C’est d’avoir osé à ce point faire rutiler des clichés sans jamais leur rentrer dedans, comme si Olivier Py se tenait à la surface du vernis qu’il dénonce sans jamais y tracer des fissures, de sorte qu’on assiste à un portrait à charge finalement assez superficiel de la superficialité. La complaisance dans le cliché au pire énerve, au mieux indiffère, rarement amuse (sauf quand on a envie de l’être, mais alors ça n’a plus à voir avec la pièce elle-même). Les homosexuels sont-ils tous frétillants, les putes toutes excessives et fantasques, les féministes forcément énervées, les relations père-fils homo nécessairement conflictuelles ? L’auteur assume son cynisme (la pièce règle ses comptes avec le milieu des Parisiens nantis, on aura compris que c’est ici un pléonasme, bonjour la subtilité). Si le spectacle a au moins la qualité d’éviter l’arrogance (mais c’est la moindre des choses pour une pièce qui tourne en dérision le snobisme !), il  laisse une impression inégale, celle, la plupart du temps, d’une débauche assez vaine de paroles et d’agitation, d’un rythme hystérique qui fatigue, d’échanges souvent verbeux, mais aussi, parfois, d’un certain sens de la comédie.

Mais à quoi bon faire le procès d’une certaine attitude quand celle-ci pourrait être celle de n’importe quel « privilégié » (pas nécessairement parisien) ? La déception est là : on ne sent jamais en quoi Paris, idiosyncratiquement, porte la responsabilité des turpitudes dans lesquelles elle plonge Aurélien, jeune Rastignac avide de réussite dans le milieu du théâtre. Py profite de la curiosité qu’allait soulever un tel titre, sans être à la hauteur de ses promesses. La bouée de sauvetage de la pièce reste le talent de ses comédiens : c’est de l’intensité de leur présence sur scène que naît l’attention (qui peine à subsister durant les 4h30), de leur manière de prendre place sur ce grand plateau en damier (scénographie réussie qui attrape l’œil), de rivaliser avec une façade haussmannienne, de gambader dans des étages, de telle sorte que Paris redevient ce qu’elle est, à savoir, avant d’être la personnification d’une mondanité, une énergie qui traverse ses habitants. Subitement, le dénominateur commun de ces Parisiens se transforme : ce qui les lie n’est plus (seulement) le règne des apparences, mais l’appartenance à un même courant, celui des gens pressés de vivre et de réussir parce que le temps est compté (pas seulement parce qu’il s’agit d’écraser son prochain). Au sein de ce brûlot trop long parviennent à se détacher certains beaux moments de complicité entre les personnages qui, émancipés de leur caricature, se mettent enfin à vivre : ainsi le coup de peinture bleue que la voisine d’Aurélien, de vingt ans son aînée, dépose sur le sexe de ce dernier est plein de tendresse, et sauve la pièce d’un arrière-goût d’amertume.