Daniel Linehan, d’entrée de jeu

Flood

Dès son premier solo, « Not About Everything », en 2007, suivi de pièces comme « Zombie Aporia », « DBDDBB » ou un récent « Sacre du printemps » d’après Stravinsky, Daniel Linehan s’est imposé comme une figure singulière et incontournable de la danse contemporaine. Le jeune danseur et chorégraphe américain a certes quitté son continent natal pour s’installer en Europe, il se fait le digne héritier de la postmoderne danse new-yorkaise. Formé à P.A.R.T.S., l’école bruxelloise que dirige Anne Teresa De Keersmaeker, il est soutenu en France comme artiste associé à l’Opéra de Lille. Il fait cette édition son premier Montpellier Danse, où il présente « Flood ».

Flood, c’est le flot. L’accélération, l’accumulation. Du mouvement, Linehan aime explorer l’élan, la dynamique. Son geste est épris de vitalité et de juvénilité mêlées. L’écriture se veut apparemment simple tant la distribution, comme le format, est relativement resserrée et intimiste. Pour autant la danse se déploie comme un flux continu où un quatuor d’interprètes hyperactifs, jouant aussi bien en groupe, à deux ou en solitaire, s’agitent et gesticulent beaucoup. Sans se soucier des paradoxes, le mouvement se montre aussi bien offensif que récréatif. Non exempt d’une certaine brutalité, le vocabulaire chorégraphique semble aussi bien appartenir au champ de la guerre qu’à celui du jeu, et, s’il paraît parfois agressif, il se montre tout aussi ludique et amusé. Les danseurs rampent, sautent, courent, sollicitant tout leur corps électrisé, mais aussi leur voix, dont l’expression passe du cri au gémissement. Chez Linehan, le corps bouge et il parle, étonnamment, singulièrement. Danse et discours se rencontrent et se complètent. Cela aboutit à un débordement continu à la fois physique et sonore.

Décapante, hybride, la pièce paraît aussi répétitive et très appuyée. C’est l’impression que donne la trop longue première partie du spectacle, structuré en deux temps inégaux, tandis que ce qui suit fait sensation. Alors que les interprètes faisaient montre d’une turbulence démonstrative, ils s’abandonnent enfin à la lenteur. La nervosité dominante qui a rempli le plateau laisse place à une belle accalmie. Plus fluides, plus souples, les gestes sont relâchés, suspendus. Plus les corps disparaissent pour ne devenir qu’ombres amplifiées, déformées, démultipliées par des jeux de lumière, plus ils se font magnétiques.

Linehan met ainsi l’accent sur le passage et l’effacement progressif. L’espace choisi, particulièrement épuré, est constitué de plusieurs voiles qui se superposent les unes sur les autres, rappelant des feuilles de papier blanches et légères marquées par l’usure. Il se caractérise par une certaine immuabilité pure et originelle. À l’intérieur, on assiste à un perpétuel recommencement. Mouvement et pensée sont intimement liés chez Linehan. Sa danse traduit sa relation au monde, au temps qui s’accélère et rend les vies d’aujourd’hui plus affolées, et ce qui les constitue plus périssable. Il interroge nos rapports sociaux et culturels et se montre attentif à la transformation des gens et de leur environnement. À la vitesse généralisée, la chorégraphie impose la fluctuation et la fugacité. Les présences spectrales, empreintes d’irréalité, qui concluent la performance finissent par engendrer une formidable hypnose. D’une poésie crépusculaire, la fin de « Flood » n’est pas ce qu’on pourrait qualifier de « solaire », mais elle est lumineuse dans son opacité.