Un amas de pierres blanches dans un trou noir. Pas de celles qui bordent les chemins mais plutôt échappées d’un mur fatigué, dernier vestige d’une construction humaine, jamais assez humble face au cosmos. Ces pierres que l’on porte, que l’on transporte, que l’on agrège ou que l’on aligne sont comme un miroir à la facétie d’Hercule ; car ici, c’est avec empathie que l’on vient soulager Atlas du poids du monde. Dans les créations du néo-zélandais Lemi Ponifasio c’est à la grandeur des forces telluriques et à la tentative, désespérément belle, de l’homme de s’y confronter que le public est invité. C’est une invitation âpre car rien n’est fait pour faciliter l’accès ; l’effort est le point de départ, l’ennui, une initiation. En cherchant des voies pour connecter le sol et le ciel, il pose, sans artifice, le théâtre comme possible révélateur des énergies cosmiques. Uniquement des femmes, vêtues de noir, font face à la nature et à la transcendance ; des guerrières, des gardiennes du temple, yeux exorbités et mains épileptiques. Cette hiérophanie comme la nomme Eliade, cette sacralisation de la scène dépouillée, se fait d’abord par la voix, partagée, mêlée ou solitaire, mais toujours avec l’enjeu prégnant d’une joute souterraine à venir. Bientôt viendront les danses solennelles accompagnées par les bruits des souffles et des corps appelés sans cesse vers l’en-haut, en tension, cherchant l’élévation sans pourtant vouloir toiser la gravité. L’espace et le temps, distendus, sans frontière, deviennent l’écrin de rituels sans âge, austères (le mot est revendiqué par le chorégraphe) venus de communautés présentes en Nouvelle-Zélande et au Chili. Le passage au plateau révèle une vérité éculée mais merveilleuse à ressentir ; alors qu’éloignés culturellement nous devrions nous croire sans repère, voilà que la mystique chrétienne se trouve étrangement corrélée à ces allégories du Pacifique. Ainsi le corps sacrificiel d’Eve, trônant du haut de sa pureté perdue, nue après la faute, s’expose sur l’autel et se souille d’un sang venu ex nihilo. Dans ce chœur, la lumière aveugle et brouille le regard. Elle floute les silhouettes qui se meuvent alors comme des fantômes, servantes résignées de cette pythie bientôt rappelée par le Père. L’autel se recouvre de terre noire, du ton sur ton pour appuyer le deuil et se souvenir de la matrice originelle ; poussière, tu redeviendras poussière, que ce soit bien clair pour chacun. Ces cendres, les vestales s’en recouvrent bientôt le visage comme des millions de chrétiens pendant le carême, en signe d’humilité et de conscience de leur propre fin. Le besoin de culte est inhérent à la nature humaine et c’est pourtant culturellement que cette femme offerte devient un objet de culte, réceptacle des prières et attentions des mortels. Femme ubiquitaire, réifiée et déifiée avec qui l’humanité se lie et finit par danser. Recouverte d’un linceul (pour créer les futurs suaires à vénérer ?) celle qui n’est déjà plus écarte les jambes pour offrir aux hommes la possibilité d’un renouveau ; un messie sans doute. L’origine du monde.
Des mythologies inconscientes
Standing in time