Géométrie du Beau

Plan B

© Compagnie 111

Dans l’itinéraire d’Aurélien Bory, « Plan B » occupe une place bien particulière. Tandis que l’édition 2016 du Festival d’Avignon célébrait sa nouvelle création « Espæce » qui pliait et dépliait l’espace-temps de la scène, les Nuits de Fourvière se penchent cette année sur ce spectacle marquant de sa carrière, créé en 2003 en collaboration avec Phil Soltanoff. Ici, l’éternelle quête du mouvement interroge déjà le rapport au corps et à l’espace selon une dimension quelque peu différente. « Plan B » exploite la surface et interroge la scène comme un objet a priori bidimensionnel. Dans ce ballet circassien délicieusement drôle, Aurélien Bory pose les éléments de son manifeste poétique.

Il y a cette planche qui se tourne, qui se dresse, qui se perce et se transperce, qui se retourne enfin et dévoile l’envers à l’endroit. Ce mur malléable sur lequel évoluent les artistes, Bory le présente comme un objet, presque un accessoire ; mais aussi comme un personnage à part entière, doté d’une volonté. C’est la scène elle-même qui est transformée, s’émancipant de sa platitude physique et de son statut passif. Elle respire et s’étire, s’étend en abysses et ordonnées selon une inclinaison variable.

Dessus, derrière, à travers, il y a ces corps qui s’agitent. Des corps d’hommes agiles, souples et puissants qui se trémoussent sur toute la surface, œuvrent à sa machinerie, s’étonnent de l’endroit et de l’envers. Au-delà du seul travail somptueux sur l’esthétique du mouvement, c’est bien avec son rapport à l’espace que Bory joue avec merveille. Les corps cherchent, à chaque changement de l’étonnant support, de nouveaux repères, de nouvelles perspectives, de nouveaux gestes. Le plan projette, selon son inclination, des possibilités de jeu inédites, allant du geste répétitif minimaliste jusqu’à des moments plus narratifs, aux allures de scène d’évasion ou de jeu vidéo. Ce n’est jamais pêle-mêle que l’action s’impose, mais plutôt avec la logique d’un fil que l’on déroule.

La géométrie des rapports humains et des proportions scéniques se met au service d’une recherche métaphysique : le rapport de soi au monde et aux autres. On ne sait jamais très bien si les corps sont coincés et cherchent à s’échapper, où s’ils vagabondent plus simplement et s’amusent. Sérieux et humour tendre se mêlent avec force et justesse, sans jamais avoir recours à la parole. L’esprit circassien est une source esthétique puissante chez Aurélien Bory, qui rend hommage à la beauté des corps et la difficulté des gestes. Jonglage, équilibrisme, sauts… les acrobates sont des artistes complets cherchant à résoudre des suites de problèmes en apparence simples, mais requérant une habilité, une souplesse et un sens du rythme extraordinaires.

Aurélien Bory sculpte l’insolite en lui donnant un visage résolument humain. « Plan B » est un terrain de jeu d’où jaillissent des trésors d’inventivité et de poésie. Le geste est franc, efficace ; le spectacle compact mais généreux. Rien ne semble jamais acquis : sur cette planche, le hasard du geste et le niveau de difficulté projettent l’ombre d’un danger qui attise la curiosité et donne naissance à l’émerveillement.