Off man

Philip Seymour Hoffman, par exemple

© Herman Sorgeloos

« On est à la dérive. À l’intérieur il n’y a rien », déclare l’un des comédiens de cette pièce mêlant le récit de trois personnages d’acteurs. Ainsi sommes-nous conviés à une interrogation sur l’identité et la subjectivité de ceux dont le rôle est d’épouser celles d’autrui.

Rien donc a priori de bien neuf dans ce motif pirandellien. Pourtant, avec l’exemple de Philip Seymour Hoffman, c’est une autre voie qui aurait pu s’ouvrir, différente de la simple comédie de travestissement, une voie qui aurait été à la hauteur des problèmes du présent. Car comme on le sait, Hoffman est mort au cours d’un tournage, et c’est à la suite de ce drame que les producteurs émirent l’idée de reconstituer l’acteur en images de synthèse. C’est bien dans cet acte radical de la substitution de l’image vivante du comédien à son corps mort qu’a lieu un déplacement par rapport à la problématique de l’acteur. C’est ici que se joue aussi l’échec d’une pièce qui ne parvient pas à affronter la radicalité de cette interrogation.

C’est que l’oeuvre s’enferme dans les voies traditionnelles d’un comique de travestissement – humour potache, quiproquos, gags visuels – où les images demeurent l’apparence troublée et impropre de la vérité d’un être. Ainsi reste-t-on dans cette approche traditionnelle de l’acteur issue de la société d’Ancien Régime– cette société d’ordres où les identités sont fixées dans les êtres avec l’intangibilité d’une loi. Sous ce paradigme, l’acteur est une monstruosité, un être dont l’identité consiste à prendre celle d’autrui, et donc à n’en avoir pas. Il est cette exception inquiétante que l’Église condamnait, et à propos duquel Godard dira plus tard, par l’intermédiaire de l’un de ses comédiens : « Les acteurs je trouve ça con, je les méprise, c’est vrai, vous leur dites de marcher à quatre pattes, ils le font, moi je trouve ça grotesque, ce ne sont pas des gens libres. » Ainsi le masque qu’est l’acteur renvoyait-il toujours à un sujet – il est vrai de plus en plus labile – dont il était le masque, voire le singe.

La mort d’Hoffman montre au contraire qu’à l’ère néolibérale, le masque s’est émancipé de toute référentialité, dissimulant désormais moins une présence que l’absence de tout sujet. Puisque l’acteur est en effet celui dont l’identité réside dans la négation de toute identité, alors il est aussi celui qui fait directement l’expérience du vide qui le constitue. Or la vacuité de l’acteur d’exception est devenue norme, modèle et archétype de cette subjectivité néolibérale arrachée au monde et à toute forme de substantialité. Se confondant avec ses multiples masques, le comédien est porteur d’une souffrance devenue exemplaire de la désolation du monde contemporain : Hoffman est mort dans la solitude d’une overdose.

Si les partis pris de mise en scène ne se montrent donc pas à la hauteur de ce qui est en jeu, la forme elle-même semble inconsciemment épouser ce que le texte souhaite pourtant mettre en question. Car si pour Pascal le divertissement constitue cette opération de diversion qui nous voile l’intolérable vacuité de toute subjectivité, à entendre le rire bruyant des spectateurs, il est possible d’affirmer que la pièce opère précisément comme ce divertissement, qui masque plus qu’il ne révèle la liquéfaction de la subjectivité à l’ère du néolibéralisme.