(c) Marie Pétry

Quel titre sublime, qui évoque des bêtes de jungle et de ciel, des apparitions mystérieuses et une impossible domestication ! On entre dans « Des panthères et des oiseaux » comme dans les forêts touffues et baroques du Douanier Rousseau, avec la même curiosité devant l’étrangeté poétique d’une improbable rencontre : celle d’une diva borgne et queer, fantasque et fracassée, nimbée d’une aura Dalidesque, avec un jeune scout, candide bambino de moins de dix-huit ans, au nom instable.

Ce refus des dénominations fixes, des déterminations rigides (qui est aussi celui du titre) promet des combinaisons infinies, et annonce la couleur : tout est possible dans la nature. Qu’est-ce que l’amour sinon une chimère (et donc un miracle) créé par deux êtres que tout oppose ? Un narrateur en veste à paillette nous raconte le chaos du dehors : l’explosion d’une bombe à émietté les êtres et les animaux, corps, griffes et ailes démembrées, tandis que dans l’espace du dedans se joue un autre chaos : celui du vertige de l’autre, de la rencontre amoureuse. Ces deux êtres réunis éclatent toutes les partitions traditionnelles entre belle et bête, ils sont tout à la fois, (si bien que ?) leur amour se heurte au conformisme du monde. La Borgne, diva androgyne pétrie de tourments, ne cesse de poser la question à celle qu’elle prend pour sa servante, rejouant par là les codes d’un théâtre classique : « Quand est-ce que ça arrive ? » On ne sait pas à quoi ce « ça » fait exactement référence, et on a pourtant tout compris : absolu auquel s’abandonner, révélation qui nous justifie, point aveugle et épiphanique, mais aussi apparition telle une panthère dans une forêt, c’est-à-dire fulgurante et lointaine, horizon plus que possession.

Des panthères et des oiseaux, on ne peut que s’approcher, apercevoir leurs silhouettes surgissantes au même titre que le désir et le destin. De sa silhouette gracile et chancelante, La Borgne ondule dans son intérieur  drapé de velours rouge, répand sur son désespoir sur l’escalier, surjoue la tragédie en grande pompe : on rit de son emphase mais la gravité n’est jamais loin, d’autant plus que la scénographie très lynchienne invite à redouter des retournements diaboliques. L’humour est noir et parfois grave, mais la joie domine, car la quête de l’invisible panthère rappelle en permanence ces êtres à leurs buts, générant en eux la vitalité des êtres qui, même sans trouver, continuent de chercher. La mise en scène, élégante et précise, épouse le texte dans ses moindres recoins. Parce qu’on ne se pose plus la question de ce qui est possible ou pas -on est embarqué dans le conte, grâce à des comédiens très incarnés- tout fonctionne, les rapprochements insolites entre les êtres, les décors, les atmosphères. L’assemblage est merveilleusement malin car il nous désoriente. Est-on dans un salon bourgeois, dans un cabinet de curiosité, dehors existe-il encore ? On a envie devenir perroquet, de rencontrer un cachalot et de l’aimer. Ça pourrait être une fable façon la Fontaine, mais sans morale et en perruque disco, qui donne envie de prendre d’immenses bouffées d’inspiration et de caresser des pelages inconnus. C’est beau comme un monstre.