Évasion

Droit à l’image

(c) Christophe Loiseau

« Sur la mousse des nuages / Sur les sueurs de l’orage / Sur la pluie épaisse et fade / J’écris ton nom »

C’est d’abord l’histoire d’un atelier de photographie proposé aux détenus de la maison centrale d’Arles. Sous l’impulsion de son directeur puis du photographe Christophe Loiseau, il a abouti à des « histoires portraits », mises en scène et réalisées collectivement, après plusieurs entretiens individuels avec les pensionnaires. Loin de témoigner de la réalité carcérale, ce travail propose une réflexion plurielle sur la représentation de soi.

Droit à l’image

« Droit à l’image » : le titre de l’exposition rappelle que, dans cette prison de haute sécurité, ce droit est de fait exceptionnel. Un détenu ne détient rien : il est strictement interdit de posséder une image de soi. On se rappelle que dans l’enfer de Sartre, il n’y a pas de miroir : seul le regard d’autrui définit (et aliène) les personnages. Alors, en prison, pour ces Arlésiens privés de reflet – et du regard de leurs proches –, ce droit à une image désirée, façonnée par soi-même, avec l’approbation des autres, représente un immense privilège : la possibilité de se définir soi-même. Dans cette perspective, on ne s’étonnera pas de voir sur beaucoup d’autoportraits le sujet replié sur lui-même, les yeux parfois fermés.

Mais, à partir du moment où ces portraits ont été finalement exposés hors des murs, on peut imaginer que ce « droit à l’image » s’adresse aussi à nous, spectateurs libres comme l’air. Loiseau nous offre l’opportunité de voir ce que nul ne peut voir : des visages et des rêves prisonniers. Diffèrent-ils tant de nous ?

Enfermement

Filets, portes, ombres projetées, surcadrages : l’univers carcéral enserre la plupart des portraits dans des univers clos, géométriques. Ainsi en va-t-il de J***, photographié en chevalier fragile dans sa cotte de mailles : on dirait qu’il avance sur la pointe de ses pieds nus, coincé entre les grilles comme entre des tenailles.

Dans la prison, les fenêtres, les couloirs découpent l’espace, des lignes électriques strient le ciel – la lumière n’est plus que l’ombre d’une promesse. Comme sur cette photo poignante, où l’un des détenus, torse nu de héros oblitéré de grilles, visage masqué par « Le Mythe de Sisyphe », se fait allégorie de l’essai de Camus : la tête bourrée de papier, de barreaux et de vide, il avance à l’aveuglette ; les bras qui n’ont même plus un rocher à pousser brassent l’air. Dans cette image ridiculement tragique, peut-être pourrait-on voir l’absurde de notre propre condition – voire, pour le sujet de l’autoportrait, sa libre acceptation.

Sur la mousse des nuages, j’écris ton nom

Et vous, si vous étiez condamné pour crime, quelle image de vous souhaiteriez-vous donner ? Celle d’un sage, d’un pénitent ? Vous pareriez-vous de vos plus beaux atours ? La photo, la fait-on pour soi, pour la contempler ou se souvenir, ou pour les autres ? Pour qu’ils sachent – celui que vous êtes au fond ? Le portrait doit-il être réaliste ou idéalisé ? Autant de réponses divergentes que d’hommes. Sur les tirages se lisent l’introspection, la résignation, mais aussi bien souvent le désir de liberté. Mais sous quelle forme ? Comment la photographie permet-elle d’échapper aux lois et aux murs d’une prison ?

C’est le défi de Christophe Loiseau : peindre des fantasmes à l’encre pigmentaire. Les paupières closes, les champs de vision obstrués ne signifient pas tant l’enfermement que le songe du rêveur. Certains montages exaltent le corps et ses prouesses, défient la pesanteur ; d’autres transportent dans un décor joyeux, une irréalité légère. Un homme ferme les yeux sous une pluie tropicale, un second fait du monocycle dans un couloir, tandis qu’un troisième est près de s’envoler dans les nuages. Un Apollon aux muscles saillants prend sa douche : le pommeau, comme une épée de Damoclès, s’est changé en entonnoir d’où fuse un torrent de sable. De nouveau, on est tenté de lire cette image comme une vanité, un memento mori banal. À ceci près que, pour une fois, le condamné tient lui-même dans sa main le sablier – comme s’il acceptait, en bon héros tragique, son écoulement fatal.