Le Dernier Testament

Le Dernier Testament

(c) Jonas Bendiksen / MagnumPhotos

Pendant trois ans, le photographe norvégien Jonas Bendiksen a parcouru la planète – du Brésil à la Sibérie, en passant par l’Angleterre, l’Afrique du Sud, les Philippines, la Zambie ou le Japon – pour rencontrer des hommes qui prétendent être le Messie. Avec « Le Dernier Testament », il livre l’une des expositions les plus enthousiasmantes des Rencontres d’Arles 2018.

C’est pour « comprendre et explorer ce que ressentent les gens qui croient » que Jonas Bendiksen, photographe de l’agence Magnum, s’est lancé dans la recherche de ces Jésus réincarnés. Dans l’église Sainte-Anne – lieu particulièrement approprié –, l’exposition s’organise en sept chapitres, un pour chaque prophète qu’il a suivi.

Ce qui frappe le visiteur, c’est d’abord la qualité documentaire du travail de Bendiksen. Il nous plonge dans le quotidien de ces messies autoproclamés et de leurs disciples. On découvre ainsi l’existence du brésilien Inri Cristo, couronne d’épines sur la tête, toge blanche, barbe respectable, qui se déplace sur un trône poussé par de jeunes et belles apôtres. Inri a décidé de consacrer sa vie à répandre la bonne parole après avoir pris conscience de « son identité christique » en 1979. Retranché dans un luxueux compound de la banlieue de Brasilia, il propage désormais ses enseignements via une chaîne YouTube dédiée et diffuse chaque semaine ses sermons sur Facebook Live. Qu’a-t-il de commun avec Jésus de Kitwe, en Zambie, chauffeur de taxi, qui écrit ses révélations à la main sur des feuilles A4 pour les distribuer au tout-venant, et qui est régulièrement passé à tabac par des foules en colère ? Rien ou presque si ce n’est la conviction profonde, depuis de longues années, d’être le Messie. C’est ce critère – la durée et la sincérité de leur engagement – qui a déterminé le choix de Bendiksen. Tous ces nouveaux Jésus croient, et tous sont crus aussi puisqu’ils attirent à leurs côtés des dizaines, parfois des milliers de disciples.

Remarquable aussi, la manière dont le photographe s’est emparé de chacune de ces histoires, avec beaucoup de sérieux, de respect et de bienveillance pour ses sujets. Avec beaucoup d’humour aussi, comme lorsqu’il présente le Japonais Jesus Matayoshi, persuadé qu’il apportera le royaume de Dieu sur terre par un processus politique démocratique. Les photographies de Bendiksen, organisées en série, dévoilent un Matayoshi qui harangue inlassablement ses compatriotes, perché sur le toit de sa voiture, seul avec son porte-voix, face à une foule indifférente.

De cette exposition, on retiendra enfin l’incroyable plasticité formelle et la beauté des photographies de Jonas Bendiksen, qu’il consacre le kitsch religieux de ses sujets, qu’il s’en distancie avec quelques séries plus conceptuelles ou qu’il cède à la fascination, avec des portraits intimistes tels ceux – magnifiques – du charismatique Vissarion, à la tête d’une communauté de 5 000 personnes dans les forêts de Sibérie. Processions dans la neige, veillées au coin du feu, bains dans des eaux glacées, repas partagés, les images de Bendiksen deviennent alors presque féeriques, surnaturelles, reflets des interrogations métaphysiques qu’elles semblent susciter chez le photographe.

Et c’est bien tout l’attrait de ce « Dernier Testament » : explorer les limites de la foi religieuse au sein d’un monde qui doute mais qui semble avoir désespérément besoin de rédemption.