L’interpellation technologique d’Hamlet

Hamlet. Je suis vivant et vous êtes morts

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Hamlet, Serge Merlin, La muse en circuit… intriguant et tentant comme programme. Inquiétant aussi car à priori rien ne les rassemble et l’idée d’un Hamlet–Serge Merlin plongé dans un univers technologique contemporain n’a rien d’une évidence. Et pourtant cet Hamlet octogénaire est troublant. Faisant fi des mots de Shakespeare, il nous livre ses pensées et élucubrations sur la vie et la mort, le mal et le bien, la vengeance et la difficulté du choix, dans un déferlement d‘images projetées sur le plateau et sur les murs latéraux de la salle, accompagnées de sonorités distordues et altérées.

On est en plein dérèglement des sens et la confusion produite par le dispositif scénique ressemble aux effets d’un complot impénétrable. Face à la démultiplication de son image projetée, Hamlet se replie sur ses angoisses confiant à la technologie le soin de les rendre intelligibles. L’expression de sa folie reprise ainsi en main déborde le plateau. On est loin du texte original mais proche des rives de l’inconscient. L’œuvre de Shakespeare est mise à mal certes mais la musique de Pierre Henry qui envahit l’espace scénique dans une installation fidèle à ses principes de spatialisation du sons, sources sonores multiples, hauts-parleurs mobiles de taille et de forces variées, et la création d’images superbes et audacieuses de Milosh Luczynski mélangeant l’abstraction des lignes, la dynamique du défilement des symboles, les gros plans sur le visage de l’acteur, les visions de squelettes et des éclats de lumière, nous obligent à recréer du sens, un sens qui nous serait propre et nous confronterait à nos interrogations personnelles. Dans “Hamlet”, il y a du théâtre dans le théâtre. Serions-nous, dans ce dispositif immersif, les nouveaux acteurs de la pièce, prisonniers de nos égarements ? On voit, on sent, on pense tout en même temps, soumis à la volonté des sons et des images. Il ne faut rien attendre et laisser de côté nos à priori. Accepter de se laisser guider, accepter d’être manipulé, accepter de faire taire en nous la part de rationnel, qui souvent empêche d’approcher la vérité des profondeurs, pour laisser apparaitre un questionnement universel. La pièce est baroque, le spectacle aussi, et la caractéristique qui définit le mieux le baroque est l’illusion, la magie, l’insondable. Hamlet, noyé dans la technologie, oscille face à nous entre rêve et réalité. Lui comme nous sommes pris au piège du principe d‘incertitude qui donne à la représentation une intensité métaphysique et symbolique inattendue. La mise en scène spectaculaire d’un texte qui reste absent nous met en mouvement vers un ailleurs inabordable.

En choisissant Serge Merlin dont l’âge est propice à une réflexion sur la mort, en le situant dans un espace et dans un temps indéfini Wilfried Wendling renforce l’œuvre de Shakespeare. Et dans ce parti pris de mise en scène d’un Hamlet fait d’images et de sons, Serge Merlin dont le corps réel est dérobé à notre vue, semble de sa voix forte et sombre veiller, à nous garder en vie pour mieux nous transmettre les tourments d’une existence.