Marelle musicale

Babelim

La Companhia de Música Teatral de Lisbonne s’associe à l’Opus Tutti Project pour présenter un spectacle musical participatif tout à fait remarquable à l’intention des plus petits.

Ici, pas de frontière entre la scène et la salle. Le public est assis sur des coussins, les artistes auprès de leurs instruments, tous autour d’un disque blanc, piste de l’imaginaire et lieu de jonction entre les deux communautés, acteurs et spectateurs qui n’auront de cesse de se rejoindre dans cette configuration interactive. Au lointain, un écran, pour que la musique puisse être suivie sous forme d’image. Comme un chef de chœur, Pedro Ramos tient de petits panneaux sur lesquels des dessins très simples annoncent les consignes : « écouter », « regarder », « chanter plus fort », « recommencer », etc… constituant une boîte à outils qui va nous permettre de jouer de la musique ensemble. La musique, elle, est d’abord présente grâce au piano de Paulo Maria Rodrigues, le vrai chef d’orchestre, mais qui tire discrètement et humblement les ficelles de nos voix et de nos émotions avec les touches de son clavier. À côté de lui, des « caisses de musique », instruments bricolés, différemment manipulables : vrilles, tiges de métal, percussions, toutes flanquées d’une caisse de résonance terminée par un pavillon, comme pour projeter au loin le son qu’elle génère.

Ce public de tout-petits lui aussi génère aléatoirement du son, mais au lieu de faire taire les enfants, nous sommes invités à tous reprendre leur babillage telles des phrases musicales. Ces sons, considérés d’ordinaire comme parasites, se mélangent ici au piano et deviennent alors la première musique du spectacle. Et les enfants sont aussi surpris que touchés d’entendre ce qu’ils expriment être répété par tout l’auditoire.

Puis apparaît un petit chœur de jeunes filles habillées en blanc. Elles étaient parmi nous sans qu’on les remarque et soudain elles font irruption sur la piste. Sorte de relais entre la scène et la salle, elles font sonner les instruments originaux ou, de leur chant, entourent l’une d’entre elle qui tourne et danse. Toujours elles accompagnent de leur voix ou de leurs mouvements les propositions musicales faites par le chef de chœur. Ces propositions, chaque fois vives comme le seraient des couleurs, tel un prétexte au jeu, composent une marelle de musique.

D’épisodes en épisodes, on passe d’un jeu à l’autre. Des syllabes s’inscrivent sur l’écran à la façon d’une partition à suivre, solfège ludique qu’il faut décoder. Le piano donne une couche de base comme un matelas musical sur lequel on se sent en confiance pour participer à l’exploration collective du son. Un archet sert de baguette de maître d’école pour faire répéter cet alphabet sonore. On a l’impression d’apprendre ensemble à parler musique.

Le chant devient leitmotiv d’un récit, conte de fées ou se croisent chevaliers, dragon et sorcières, joué avec la maestria d’un Roberto Benigni par Pedro Ramos, toujours accompagné d’une petite fille de deux ou trois ans qui est comme un électron libre autour de lui. On ne sait jamais bien qui mène la danse entre ces deux-là, comme dans cette dança das pedras qui relève plus du jeu filial, entre mouvements, portés et câlins. Extraordinaire liberté d’exister sur le plateau.

Enfin une dramaturgie adaptée aux tout jeunes spectateurs ! « Babelim » est une magnifique invitation à nous laisser bercer par la musique cachée en nous, à retrouver la qualité de présence de l’enfance pour enfin entrer ensemble en harmonie.