« ON AIR », carte blanche et noire

On Air

(c) Studio Tomas Saraceno

Avec « ON AIR », l’artiste et architecte Tomás Saraceno investit l’ensemble du Palais de Tokyo pour cette 4e carte blanche, à la suite de figures éminentes de la scène artistique internationale – Philippe Parreno, Tino Sehgal, Camille Henrot. Dans cette exposition aux enjeux actuels, l’artiste argentin convoque araignées, scientifiques, philosophes, architectes et visiteurs à une « jam session cosmique » pour nous faire prendre l’air du temps. Même si l’ensemble tend à s’étioler dans le gigantisme des lieux, problème récurrent dans ces expositions blockbusters, le poétique et le politique se tissent et touchent des cordes sensibles. S’inscrivant dans le courant des sciences humaines étudiant l’anthropocène et le brouillage des dichotomies modernes (entre nature et culture, humains et non-humains), Saraceno entend défendre une forme d’intelligence collective et convoque un impressionnant appareil critique, au prix cependant parfois d’une certaine lourdeur et au détriment d’une expérience plus sensible. Tout ne tient alors qu’à un fil, et celui de notre attention tend à se déliter lorsque l’informatif prend trop le pas sur le contemplatif… Mais si certaines œuvres s’emmêlent dans un tissu de références, d’autres réussissent à nous prendre dans leurs toiles, littéralement, comme avec ces sublimes sculptures arachnéennes qui s’élèvent dans la grande verrière du Palais, plongée pour l’occasion dans le noir. L’artiste cherche alors à nous « apprendre à voir », à nous rendre sensible à la beauté d’un monde à laquelle nous serions resté-e-s aveugles sans lui. Lui qui a un intérêt tout naturaliste pour les araignées, il les étudie avec sympathie et interroge notre manière d’habiter le monde et nos interconnexions. Le Palais de Tokyo devient ainsi la chambre d’écho de voix qui seraient normalement demeurées inaudibles. Avec « Algo-R(h)ithms », l’artiste entend créer un « paysage vibratoire » dans lequel les visiteurs deviennent des parties intégrantes, simplement en respirant et en se déplaçant, faisant ainsi réagir des cordes sensibles aux vibrations provoquées, qui résonnent alors à différentes fréquences.

Par ces traductions spatiales, sonores et visuelles, par ses détours et retours, l’artiste entend alors orienter ses explorations à des fins pratiques. La dernière partie de l’exposition, aux allures de fablab, même si elle apparaît d’un point de vue artistique comme la moins convaincante, est ainsi consacrée au projet « Aérocène », une initiative interdisciplinaire pour penser d’autres rapports à l’environnement et à l’atmosphère sans utiliser les énergies fossiles. À travers ce projet de voyages aériens utilisant uniquement l’énergie solaire, Saraceno et son studio assument la dimension utopique de l’art où il s’agit plutôt d’indiquer une direction que d’établir un programme directement applicable : tenter, explorer, redonner ses pouvoirs à l’imagination, telles seraient les missions de l’artiste en ces temps de détresse. Artiste-araignée singulier, Saraceno lance ainsi des fils dans les airs, comme autant d’expérimentations et d’invitations pour inventer du possible.