Titanic II

Arctique

© Christophe Engels

Deux ans après « Tristesses », Anne-Cécile Vandalem continue sa mise en récit des infinies désillusions de l’humanité. C’est encore et toujours sur le fil d’un réalisme revisité par l’emploi de la caméra sur scène que la metteuse en scène s’attaque à une nouvelle fable, cette fois-ci d’anticipation. Avec « Arctique », il sera question de guerre climatique, fruit des tergiversations politiques et médiatiques qui entraînent le destin commun des hommes en même temps que celui des quelques individus en présence. Sur la base de ce sujet d’actualité, cette « éco-tragédie » aux allures de thriller et aux bonnes intentions s’embourbe pourtant dans ce qui se présente comme d’inévitables écueils.

Trop grand, trop gros, trop lourd. Le sujet comme son dispositif écrasent tout, laissant le spectateur indécis devant la profusion des éléments théâtraux, vidéographiques, voire devant le sens global de l’œuvre au parfum dystopique. Les dédales des couloirs, des pontons et des cales déploient les coulisses tentaculaires du bateau, dont il ne nous est montré que la pièce centrale, et où l’étrange se mêle au suspense. Mais la menace qui pèse sur les personnages mystérieusement réunis à bord de l’Arctic Serenity est elle-même prise comme dans un étau  par les choix dramaturgiques. Gagne-t-elle à n’être qu’une ombre, intimidante précisément parce qu’elle ne s’incarne jamais tout à fait ? Ou apparaît-elle au grand jour, prenant le risque de défaire, du même coup, l’ensemble du dispositif qui lui avait donné vie ? Anne-Cécile Vandalem choisit cette seconde voie, et c’est ce geste même qui semble aussi bien problématique que déceptif. L’image, comme le texte, sert une dimension exclusivement narrative de l’intrigue qui se trouve inlassablement confrontée à nos habitudes vis-à-vis du médium cinématographique. Or, « Arctique » semble échouer à opérer un quelconque dépassement, une transcendance ou bien un retournement de cet emploi de la vidéo, dont la metteuse en scène peine à tirer toute la substance.

Ce trop-plein de réalisme donne alors naissance à quelques moments d’humour absurde qui explosent inopinément à la manière de petites soupapes de décompression. La démarche serait bienvenue si elle n’était pas amenée avec maladresse, en forçant à tel point le trait sur l’autodérision qu’on ne sait jamais exactement si elle sert de justification au propos ou d’excuse. Anne-Cécile Vandalem y régurgite un univers fantastique tenu à mi-distance pendant l’ensemble de la pièce et qui explose en vol lorsque le fil de l’intrigue se dénoue, que la menace se dévoile et que l’univers sombre dans un sordide généralisé. On s’embarrasse de ces bulles d’absurde en ne sachant comment les aborder : exutoire ou scorie ?

« Arctique » est loin de décevoir toutes les attentes : il y a, dans ce jeu entre un univers fabuleux et une prétention à ressasser les périls du monde une forme de fragilité attendrissante. Pourtant, la prétention à s’émanciper des qualités formelles de la scène n’éclôt sur rien de fondamentalement convaincant. Quel horizon Anne-Cécile Vandalem souhaite-t-elle donc dessiner ?