2019, odyssée tellurique

Phénomènes

Marina Gadonneix. Avec l’autorisation de la galerie Christophe Gaillard.

Émerveillement

Je ne sais pas ce que je vois. Des formes insensées, belles, irréductibles. Un bain de radiations, d’ondes pures et de solides. D’impressions synesthésiques, dans mon corps et sur ma rétine. Expérience presque psychédélique. Sur les murs qui virent lentement de la nuit de l’espace au bleu clair, les tirages tombent des trous noirs dans des failles telluriques.

Je ne sais pas où je suis. Dans un monde fantastique, entre réel et irréel, où l’œil expérimente l’étrangeté de la matière (qu’est-ce que mon regard touche ? Je ne sais). L’air, le feu, l’eau, la terre. La photographe Marina Gadonneix plonge dans le mystère des éléments, elle approche l’invisible : des déserts safran de Mars aux aurores boréales, ses images nous embarquent dans une odyssée scientifique. Avez-vous jamais vu l’intérieur d’une chambre anéchoïque ? On dirait une piscine hérissée de picots ou bien un gratte-ciel, ou peut-être l’intérieur d’une boîte de crayons bleus… En tout cas, sur les tirages, c’est merveilleux. Se révèlent l’intimité des laboratoires et des machines, leurs viscères de sable, de métal et de vide. Des éléments naturels donc, mais aussi, paradoxalement, totalement artificiels. Car la bien nommée exposition « Phénomènes » – dans le champ scientifique, « ce que l’on observe ou constate par l’expérience et qui est susceptible de se répéter ou d’être reproduit » – enregistre les manifestations sensibles de phénomènes simulés par les chercheurs au cours de leurs expérimentations scientifiques.

Mise en abyme

Voilà un trip qui fait donc réfléchir. À l’orée de l’exposition justement, des photographies de traités sur les couleurs et la lumière, inclinées comme des livres ouverts, placent le spectateur dans la peau du lecteur. La mise en abyme interroge notre rapport au savoir et à ses représentations. La re-présentation des phénomènes physiques par des schémas, des modèles, des expériences peut-elle par essence être vraie ? En mettant en scène la science en train d’observer et de recréer des phénomènes, Gadonneix interroge aussi leurs conditions de possibilité. La lauréate du Luma Rencontres Dummy Book Award Arles 2018 rejoue le mécanisme à l’origine de toute science : de la même façon que l’étonnement premier face à un phénomène inexpliqué débouche selon Aristote sur un questionnement scientifique, l’émerveillement devant ces images débouche sur le désir de comprendre. D’où le didactisme assumé des cartels (à la typo parfois, malheureusement, quasiment illisible).

Paradoxalement, Gadonneix photographie à la fois la reproduction (la simulation d’un phénomène naturel par la technique) et l’apparition – de la lumière sur le noir, du feu ou de la foudre dans la nuit. Comme une mise en abyme du principe photographique.

Du sublime

Si l’art forme un pont entre les mondes sensible et suprasensible, alors Marina Gadonneix réconcilie la science et l’art dans une odyssée cosmologique qui questionne les conditions de possibilité des phénomènes. De quoi s’instruire et réfléchir, mais aussi imaginer. Ses images offrent effectivement une expérience poétique, au bord de l’invisible, de l’infra et du supra. Alors on touche au sublime, à l’instar de cet impact simulé de météorite : une faille anthracite apparaît sur le noir luisant, comme une porte qui s’entrouvre. Et l’on approche de ce seuil où l’on ne voit plus, mais où l’on peut rêver.